Breezy

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Oublié par la critique, Breezy de Clint Eastwood mérite bien plus qu’une deuxième lecture.

Face à l’océan, un jeune garçon se laisse aller à ses rêveries. Il voit une belle adolescente, Breezy, qui tout comme lui ne connaît rien à l’amour. Il imagine également une rencontre avec Frank (William Holden), un riche septuagénaire récemment divorcé. L’ambivalence du corps et de l’esprit, de la vieillesse et de la jeunesse, devient une thématique récurrente chez Clint Eastwood (Honkytonk man, Million Dollar Baby, …). Breezy s’empare ouvertement de ce sujet.

Derrière cette séduisante histoire, un rêve ingénu. L’idée que le bonheur peut se partager au détour d’une rencontre imprévue. Toutefois, contrairement à L’Arrangement de Kazan, Clint Eastwood prend le parti de refouler l’idée d’une rencontre nostalgique au profit d’une rencontre plus lyrique. Il n’est pas question d’évoquer le passé mais plutôt de ressentir le moment présent. Les échanges entre Breezy et Frank tournent davantage autour de la vie quotidienne.

Distant de la révolte culturelle qui gronde, Clint Eastwood conserve un discours métaphorique. Ainsi, Breezy symbolise l’esprit d’ouverture propre à la jeunesse. Frank évoque davantage la sagesse et la prévenance de la culture conservatrice. Avatar de ce conflit entre génération, l’Amour est arboré comme un emblème de cette rencontre presque idéologique.

La différence d’âge entre Breezy et Frank ne confère au film ni un caractère sulfureux ni scandaleux mais confirme plutôt l’idée d’un couple « imaginaire ».

Frank cache ses propres sentiments derrière le confort de sa vie. Derrière la gaieté du personnage de Breezy, Clint Eastwood dépeint avec noirceur la vision des relations sentimentales de Frank. Une force « irrésistible » conduit Frank à remettre en cause l’affection qu’il porte à cette jeune femme en vertu des propres limites de ses précédentes expériences. L’optimisme visible de Breezy contraste avec le doute profond de Frank. Cette ambivalence de visions confère au film Breezy, non seulement une personnalité unique, notamment par rapport à d’autres excellents films comme Zabriskie Point d’Antonioni ou même Harold et Maude de Hal Ashby, mais surtout une portée réflective qui ne semble pas vieillir avec les années.

Mélodieuses variations sur le thème de la rencontre, Breezy évite l’écueil de beaucoup de films engagés dans le combat social d’une époque (la fin des année 60) pour ne laisser transpirer que l’émotion d’une brève rencontre. Bien avant The Bridges of Madison County, Breezy démontre la sensibilité personnelle de son metteur en scène.

Titre original : Breezy

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Durée : 103 mn


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