Entre hypocondrie et angoisses obsessionnelles, turbulences amoureuses et difficultés générationnelles, le héros allénien, d’abord incarné par le cinéaste lui-même, puis par ses héritiers, hommes ou femmes, a suscité, au fur et à mesure des années, des attentes singulières chez son spectateur. Pourtant, son personnage est peu à peu devenu prévisible, sans qu’un voyage en Europe n’y puisse rien changer. Des actrices, chacune à son tour, ont su accompagner et soutenir le héros allénien (Diane Keaton, Mia Farrow) ou, d’une toute autre façon, lui succéder (Christina Ricci, Scarlett Johansson). Cate Blanchett, elle, ne l’épaule ni ne le remplace : elle le sublime. L’actrice se substitue à ce personnage surexploité en le perfectionnant. N’est-ce pas en restaurant les vieilles bâtisses qu’on leur permet de tenir encore quelque temps ? Cate Blanchett réussit tout ce que les autres ne sont pas parvenus à faire : dépasser les redondances fondamentales du personnage allénien afin d’exploiter d’autres cheminements et de faire de nouvelles propositions. Alors que le héros allénien ne nous surprenait que par un langage méthodique et préparé, où chaque mot faisait partie d’un jargon unique et soigneusement défini, Cate Blanchett n’a ici pas peur du bafouillage et pimente ses répliques d’un visage profondément expressif. Sa frimousse adorable se transforme alors, l’espace d’un plan, en un faciès disgracieux, émouvant mais jamais pathétique. L’actrice réussit ainsi à rendre la progression de son personnage nette et captivante, et fait oublier par là même quelques-uns de ses prédécesseurs, personnages fades et usés qui arpentaient d’un air simplement malheureux Rome ou autre capitale illusoire.