BIFFF 2013 : c´est l´heure du bilan

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Compte-rendu de la 31e édition du Bifff, festival fantastique plus éclectique que jamais. Du gore, du rire, de l´aventure et du rêve : tout un programme qu´il faut maintenant passer patiemment en revue !

Avec un nombre de films projetés en hausse (plus d’une centaine) et des spectateurs d’autant plus fidèles que le nouveau temple du cinéma de genre, le Palais des Beaux-Arts (ou Bozar), se situe en centre-ville, le 31e Bifff a indéniablement marqué les esprits. La tendance à l’éclectisme artistique déjà visible l’an passé est de plus en plus revendiquée, parfois au grand dam de certains habitués de la manifestation, pour lesquels « un bon film » doit obligatoirement contenir du sexe et du sang. Avec deux salles au lieu d’une, il n’y avait pourtant pas lieu de se plaindre : naviguant entre drames historiques, étrangetés nippones, slashers exotiques, comédies ibériques et grosses machines yankees, le Bifff a déroulé un menu apte à séduire les gourmets les plus exigeants.

Et hormis le confort un peu rustique des sièges de la grande salle – plus habituée à recevoir des orchestres qu’une horde de « bifffeurs » en furie – et l’annulation vécue comme un drame (ou presque) du fameux Bal des Vampires, on voit mal ce qui pourrait être reproché aux organisateurs, qui ont su conserver la bonne humeur propre au festival et sa dimension évènementielle. Ce n’est pas tous les jours qu’on croise des cinéastes comme Neil Jordan, Roland Joffé ou Dario Argento, le traditionnel verre de Troll à la main, venus se coltiner le public le plus turbulent, mais aussi le plus drôle d’Europe. C’est bien simple, au Bifff, si l’on mélange blagues référencées et humour à rebours, même les navets se transforment en chefs-d’œuvre .
 
 
Entre spectres et suceurs de sang
 
 

Mama, Guillermo del Toro
  
 
En ce qui concerne les films, il a bien sûr fallu faire des choix drastiques : tout voir était impossible. Il était donc facile de mettre de côté les films prévus pour les prochaines semaines dans les salles françaises : The Imposter (Bart Layton), Stoker (Park Chan-wook), Upside Down (Juan Solanas), entre autres, seront visibles bien assez tôt. Dans le cas des Âmes vagabondes (Andrew Niccol), on aurait préféré faire l’impasse, tant cette nouvelle adaptation d’un roman de Stephenie Meyer (Twilight, 2005 -) est une caricature de science-fiction, le genre étant ici utilisé comme prétexte à un insupportable triangle amoureux teinté de morale conservatrice. Un supplice qui n’épargne personne, surtout Saoirse Ronan, pourtant si magnétique dans le film d’ouverture de Neil Jordan, Byzantium. Cette version féminine de Entretien avec un vampire (1994), bénéficiant de la même atmosphère de romantisme gothique et d’éclairs de violence graphique marquants, est une belle réussite pour le cinéaste irlandais, jamais aussi à l’aise que lorsqu’il détourne les mythes du fantastique et manipule la notion même de récit, ici divisé en deux époques. Le réalisateur, que nous avons interviewé, semblait attendre de pied ferme les dates de sortie prévues en Europe pour son dernier film.

La dernière production de Guillermo del Toro, Mama, ne connaîtra elle pas de soucis. Déjà auréolée d’un Grand prix à Gérardmer et d’un triomphe surprise au box office américain, cette ghost story classique mais extraordinairement efficace, portée par la prestation de Jessica Chastain, risque de faire se soulever les poils de nombreux bras lors de sa sortie en salles le 15 mai prochain. Les histoires de fantômes étaient d’ailleurs nombreuses durant cette édition, ce qui honnêtement nous change un peu des zombies et des suceurs de sang. C’est une armée entière d’exorcistes qui s’y oppose par exemple dans le coréen Ghost Sweepers (Shin Jung-won), sorte de S.O.S. fantômes (Ivan Reitman, 1984 ; 1989 ; -) chez les chamanes qui hésite un peu trop entre les genres qu’il illustre pour convaincre. Même constat pour The Complex, qui marquait le retour de Hideo "Ring" Nakata au genre qui avait fait sa gloire : poussif, surexplicatif et tournant parfois au ridicule, ce drame surnaturel banlieusard ne risque pas de nous faire oublier son magnifique Dark Water (2002). Et par respect pour William Hurt, qui s’est sans doute vu offrir un joli chèque pour tourner en Thaïlande, on passera sous silence le piteux Hellgate (John Penney), mélange indigeste entre The Eye (David Moreau et Xavier Palud, 2008) et Vinyan (Fabrice du Welz, 2008), qui ferait rire s’il n’était pas aussi bête et moche.
 
 
Examens réussis
 
 


Ghost Graduation, Javier Ruiz Caldera
 
 
La vraie réussite du genre était sans conteste Ghost Graduation (Javier Ruiz Caldera), lauréat du grand prix et du prix du public, qui s’est révélée être LA grande surprise du Bifff. Cette comédie fantastique espagnole revisite une culture eighties universelle, de Breakfast Club (John Hugues, 1985) à Robert Zemeckis en passant par les American College (John Landis, 1977) et Brian De Palma, et confronte un prof qui voit des morts à une escouade de spectres adolescents coincés depuis vingt ans dans leur fac. Énergique, très rythmée, naïve sans être mièvre, et surtout très, très drôle, cette comédie bénéficie en sus d’une bande originale pop imparable et de VRP de premier choix en la personne du réalisateur et de son co-scénariste, qui ont fait le show avant et après la séance. À guetter sur vos écrans avant que ne déboule le remake US avec Will Smith, déjà prévu.

Autre réussite venue de l’autre bout du globe, Rurouni Kenshin (Keishi Otomo) est un film de sabre adaptant le célèbre manga (et la série animée) Kenshin le vagabond (Nobuhiro Watsuki, 1994-1999) avec les moyens et l’application qu’il méritait. Son méchant a beau être caricatural et sa trame très linéaire, Kenshin est un spectacle à l’ancienne, ciselé avec soin et volontiers spectaculaire, dans la droite lignée du 13 Assassins (2010) de Takashi Miike. Côté chinois, le grand spectacle était à chercher du côté du dyptique Tai Chi Zero / Tai Chi Hero (Stephen Fung). Là aussi, c’est moins le scénario, aventure initiatique comme la Golden Harvest, entre autres, en produisit des centaines, qui importe, que son illustration. Les deux Tai Chi sont des spectacles survoltés et post-modernes en diable, mélangeant sans prévenir esthétique de film muet, séquences inspirées de multiples jeux vidéo ou en animation, onomatopées de cartoon à la Scott Pilgrim (Bryan Lee O’Malley, 2004-2010) et machines héritées de l’univers steampunk… Un vrai tour de montagnes russes, qui s’essouffle malheureusement dans sa deuxième partie.
 
 
Obscures découvertes
 

 

Found, Scott Schirmer
 
 
Au rayon asiatique (toujours très fourni à Bruxelles), les autres découvertes de la quinzaine se nommaient Key of Life (Kenji Uchida) et Belenggu (Upi Avianto). Ambiance absurde rappelant presque la comédie italienne pour le premier, film nippon rejouant en mode mafieux le pitch de Un fauteuil pour deux (John Landis, 1983) : un tueur à gages et un acteur fauché échangent leur vie, ce qui provoque une belle avalanche de gags, de quiproquos fâcheux et de remises en question romantiques. Ambiance glauque et nocturne pour le second, film noir fantastique indonésien se la jouant David Lynch pendant sa première demi-heure, avec son locataire insomniaque rêvant de lapins géants et de petites filles assassinées, avant que les points de vue ne s’inversent pour laisser la place à une ronronnante enquête policière. Bancal, mais assez atmosphérique et tordu pour intriguer.

Les traditionnelles séances de minuit, désormais déplacées à 24h59 (humour, humour) contenaient leur lot de nanars fauchés et/ou psychotroniques – Snot Rockets (Yudai Yamaguchi) semblait être l’OVNI en chef du festival. Frankenstein’s Army (Richard Raaphorst), délire hollandais à base de soldats russes envoyés combattre l’armée de zombies robots de Frankenstein Jr., se révélait aussi timbré que son titre, mais peu passionnant à cause de son esthétique « found footage de gueule », véritable plaie du cinéma de série B. L’américain Found (Scott Schirmer) s’est lui nettement démarqué, de par son budget d’une part (8 000 dollars, qui dit moins ?) et par son jusqu’au-boutisme. Autopsie d’un dérèglement familial meurtrier, déclenché par la fascination d’un jeune ado pour son grand frère, aussi serial killer qu’il est fan de films d’horreur, Found est aussi brutal qu’incisif, aussi dérangeant que sincère. Un uppercut très gore et excellemment interprété par deux acteurs débutants, Gavin Brown et Ethan Philbeck.

Enfance toujours, mais en mode Guerre des boutons (Yves Robert, 1962) moderne, avec I Declare War Jason Lapeyre et Robert Wilson) et son exploration un poil longuette des jeux auxquels s’adonnent les garçons pas encore ados qui n’aiment rien tant que se faire la guerre. Là aussi, une belle brochette d’enfants comédiens se révèle, mais on se demande tout de même où le réalisateur veut en venir. Avec The Human Race (Paul Hough), jeu de massacre beaucoup plus adulte et brutal, la question ne se pose plus : adaptation officieuse du Marche ou crève (1979) de Stephen King, cet autre petit budget débrouillard enquille les mises à mort incorrectes à un rythme hystérique, avant de retomber sur l’unique pied de son unijambiste de héros lors d’un ambitieux final SF payant son tribut à La Quatrième dimension (Rod Serling, 1959-1964).
 
 
La tête dans les étoiles
 
 

 The Man from the Future, Claudio Torres
  
  
Quoi de mieux pour continuer ce tour d’horizon que de s’intéresser à un autre genre phare de ce 31e Bifff, la science-fiction ? Bien sûr, la star interstellaire du festival était Oblivion (Joseph Kosinski), projeté à guichets fermés. Il y avait pourtant d’autres titres du genre, moins prestigieux mais aussi moins « calculés » à dénicher dans les travées du Bozar. Le canadien Mars et Avril (Martin Villeneuve), indescriptible conte futuriste placé sous l’influence du dessinateur belge François Schuiten (à qui l’on doit depuis 1983 Les Cités obscures… et l’affiche du Bifff 2013 !), constituait par exemple une tentative intéressante, hélas noyée sous des tonnes de dialogues pontifiants et une interprétation mortifiante. Pas plus convaincant mais tout aussi joli, The End (Jorge Torregrossa) confrontait une poignée d’ibères en mode Petits mouchoirs (Guillaume Canet, 2010) à leur disparition pure et simple au cœur de la Catalogne. Atmosphérique, certes, mais la morale est bien trop niaise pour justifier le voyage.

Là où le spectateur heureux aura touché le jackpot, c’est à la projection de The Man from the Future (Claudio Torres), gros succès brésilien inédit chez nous malgré la présence en tête d’affiche de Wagner Moura (Troupes d’élite – José Padilha, 2008 ; et bientôt Elysium, Neill Blomkamp). Sorte de Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985, 1989 et 1990) potache explorant les effets du papillon sur les paradoxes temporels, cette trépidante comédie romantique (eh oui !) maintient le cap du divertissement intelligent du début à la toute fin, sachant construire comme Ghost Graduation des personnages attachants qui permettent de passer outre les conventions du genre (il y en a !).
 
 
« On veut du sang ! »
 
 


Chained, Jennifer Chambers Lynch
  
 
Et du sang, me direz-vous, n’y en a-t-il pas eu au milieu de cette débauche de bons sentiments ? Si, bien sûr. Sans doute moins qu’avant, quoique le remake/reboot de Texas Chainsaw (Tobe Hooper, 1974), Texas Chainsaw 3D (John Leuessenhop), devait en procurer son lot de baquets, tout comme l’écossais Sawney : Flesh of Man (Ricky Wood Jr.) – tout un programme – et le néo-zélandais Fresh Meat (Danny Mulheron) – miam. On pouvait s’attendre, justement, à ce genre de débauche avec Hellbenders 3D (J.T. Petty), qui nous emmène à la rencontre d’une brigade vaticane chargée de prêcher en permanence pour mieux ramener les démons en Enfer. Mais la déception a été collective et bien réelle : à part quelques blagues éparses et jurons qui font mouche (en 3D, les mouches), rien ne fonctionne vraiment dans cette variation poussive de L’Exorciste (William Friedkin, 1973). Même constat pour Chained, duel voulu dérangeant entre un serial killer et l’enfant qu’il garde captif, à son service, depuis des années. Vincent d’Onofrio en fait des tonnes dans la peau du croque-mitaine, mais le film aurait mérité réalisateur plus inspiré et rentre dans le lard que la fille de David Lynch, Jennifer.

Plus remuant, American Mary (Jen et Sylvia Soska) nous a fait découvrir les joies de la modification corporelle, à travers les yeux de la Mary éponyme (Katharine Isabelle), étudiante en chirurgie qui change de vocation à l’appel des biftons généreusement versés par quelques bourgeoises pressées de se faire étirer le portrait. Traversé par un humour noir salvateur et porté par la sensualité ravageuse de son actrice principale, American Mary souffre néanmoins d’un montage hirsute, rendant l’évolution de l’intrigue incohérente, et d’un personnage principal passant du statut de victime à celui de manipulatrice antipathique en un clin d’œil. Bon, au moins, il y avait du sexe et du sang. « Ca, c’est un bon film ! », criaient d’ailleurs les « bifffeurs » pendant la séance. On ne se refait pas…

 

Palmarès 2013 :

Corbeau d’Or (ou grand prix) de la compétition internationale : Ghost Graduation (Javier Ruiz Caldera)
Corbeau d’argent (prix du jury) de la compétition internationale : Abuctee (Yudai Yamaguchi) et American Mary (Jen et Sylvia Soska)
Méliès d’argent (prix du jury) de la compétition européenne : May I Kill U? (Stuart Urban) ; Mention spéciale à Earthbound (Alan Brennan)
Prix de la compétition thriller : Confession of Murder (Jeong Byeong-gil)
Prix de la compétition 7th Orbit : Blancanieves (Pablo Berger) ; Mention spéciale à Vanishing Waves (Kristina Buozyte)
Pégase (prix du public) : Ghost Graduation (Javier Ruiz Caldera)


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