Avé

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Petit film bulgare attachant et malin, « Avé » redéfinit le mensonge comme dramatisation du réel.

Plus elle ment, plus on l’aime. C’est ce qu’on peut lire sur l’affiche d’Avé, premier long métrage de fiction du réalisateur Konstantin Bojinov, présenté l’année dernière à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes. Elle est maladroite, mais la phrase d’accroche résume assez bien l’idée de ce film singulier, dirigé par un Bulgare émigré aux États-Unis qui vient de l’art contemporain : vidéo, photo et sculpture, pêle-mêle. Des Beaux-Arts, où il est passé, il a conservé sens du cadre et économie des plans (ici, 247 seulement contre environ 1000 habituellement). Le scénario, lui, prendrait plutôt sa source dans ses souvenirs personnels : à 17 ans, un copain d’école s’est suicidé, il est arrivé trop tard pour les funérailles, à l’autre bout du pays ; quelques temps auparavant, son chemin croisait celui d’une jeune fugueuse qui lui ferait perdre la tête. 

Avé se nourrit de cela, de la trajectoire intime de Bojinov autant que de son désir d’ajouter le récit à ses talents artistiques. Presque comme dans la vraie vie de l’auteur, donc, on y suit Kamen, fin d’adolescence, qui quitte Sofia pour se rendre en stop à Roussé, où doit être enterré son meilleur ami qui vient de se donner la mort. En route, il rencontre la Avé du titre, 17 ans, qui ne tarde pas à se greffer de force au voyage. Au gré des étapes, la jeune fille leur invente mille vies, se faisant tour à tour sœur, amie ou amante. Beau personnage que le sien, qui ment comme elle respire, semble ne savoir faire que cela. D’elle, on se saura rien, ce qu’elle fait, d’où elle vient, si ce n’est qu’elle en veut à ses parents et que ses conversations sont de véritables logorrhées mythomanes qui lui permettent de réécrire son existence à l’envi.

 


 
C’est ce qui fait tout l’intérêt d’Avé, film aux faux airs de road-movie initiatique qui interroge finalement plus le rapport de soi au réel que le deuil ou les rencontres fortuites. Peu importe qui est Avé, puisqu’elle sait qu’il suffit d’une phrase pour se réinventer ; qu’un élément dramatique est assez pour livrer une version augmentée, plus passionnante, de la réalité. C’est ainsi que le film tourne tout entier autour de la parole, celle qu’on veut bien donner, celle qui permet de réécrire son histoire quand elle n’est pas telle qu’on la souhaiterait. Plus elle ment, plus on l’aime : toute agaçante qu’elle l’est au premier abord, Avé pose les jalons de la possibilité d’un discours parallèle, de l’alternative d’être ce que l’on veut. Ce que l’autre sait de nous n’est jamais plus que ce qu’on en montre.
  
Le film de Konstantin Bojinov n’est pas confortable : si toute vérité n’est pas bonne à dire, il suggère également que le mensonge mène parfois à des situations improbables et potentiellement minées, comme lorsqu’Avé fait croire à un chauffeur routier qu’il pourra observer, moyennant rémunération, un rapport sexuel avec son compagnon de route. Ce qui intéresse le cinéaste n’est pas tant de savoir si ses deux personnages atteindront leur but, que de dresser le portrait d’une jeunesse bulgare un peu désaxée, des faubourgs déprimés de Sofia aux bleds endeuillés de l’extrême Est du pays. Et si le propos d’Avé a tendance à s’amenuiser sur la fin (en gros, il faut s’avoir s’affranchir du passé pour pouvoir avancer), le film, avec ses bosses et ses creux, n’a pas peur de dire qu’un aller sans retour n’est pas le pire des trajets.

Titre original : Avé

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Durée : 96 mn


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