Ange

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« Ange » est un opus de transition dans la filmographie audacieuse de Ernst Lubitsch. Le cinéaste réussit un coup de billard à trois bandes avec la censure du code Hayes en abordant le sujet tabou de la tentation adultérine dans le couple considérée du point de vue de la femme. Emoustillant en version restaurée.

« La fin heureuse attendue d’une comédie digne de ce nom devrait receler une nuance sardonique car, aux yeux d’un scénariste dramaturge avisé, il n’y a pas de dénouement heureux possible » Samson Raphaelson

L’humiliation de la débâcle

Le 7 février 1937, Ernst Lubitsch se fait débarquer de son poste d’exécutif à la tête de la production de la Paramount qu’il occupait depuis un an. Incapable de déléguer une autorité que les cinéastes sous contrats lui contestent désormais, le producteur désavoué est caricaturé en Napoléon au petit pied pour ce qui est perçu à tort ou à raison comme une forme d’autoritarisme dictatorial. Il aura toutefois produit bon an mal an 60 films et consacré certains réalisateurs comme des valeurs sûres du box office au nombre desquels : King Vidor, Lewis Milestone, Frank Borzage.

Lubitsch accuse le coup de sa débâcle qu’il vit comme une bérézina et un camouflet qui lui sont personnellement infligés par les pontes des studios.Il ravale de dépit son humiliation et revient à la mise en scène même si le crédit qui lui est fait par ailleurs s’en trouve singulièrement écorné.

En contraste avec ses comédies explicitement effrontées et irrévérencieuses, Ange traduit cette amertume suffocante qui jette le trouble et la confusion sur les relations contraintes et embarrassées entre les protagonistes. Le film reflète cette tutelle pesante de la censure en sorte qu’il procède par allusions, sous-entendus et insinuations comme jamais aucun film de Lubitsch auparavant. Au lieu d’empeser son propos et celui de son scénariste attitré Samson Raphaelson, l’accumulation des faux-semblants entre le mari artificiellement absorbé par le ballet diplomatique, la milady qui se transforme en demi mondaine inconséquente et l’amant transi puis contrit jusqu’au dénouement final obligent les deux hommes à recourir plus que de nature à l’ellipse.

Sérénade à trois

Le duo scénaristique s’empare de la romance de Frederik Hollaender qui innerve le film comme celle de W.Franke Harling parcourait Haute pègre (1933) pour en exploiter jusqu’à la trame dramatique. Et la rengaine sans titre interprétée comme une sérénade à trois trotte dans la tête des personnages qui la
fredonnent et la pianotent à l’envi jusqu’à éveiller les soupçons du mari qui, bien qu’ absorbé par ses assommantes obligations consulaires, est à son tour happé par ce refrain entêtant.

L’atmosphère compassée d’un marivaudage suave et feutré rappelle en demi-teinte celle de Les Dames du bois de Boulogne (1945) mais aussi sans équivoque Belle de jour pour cet enhardissement à connaître le frisson de l’encanaillement sans que l’éventuel passage à l’acte ne soit davantage indiqué sinon de façon suggestive.

Le film s’affranchit tant bien que mal du nouveau code de production mis en place en 1934 alors qu’ il touche un sujet bien autrement scabreux : le soupçon d’infidélité d’une femme du monde négligée par un mari pris dans un tourbillon d’activités diplomatiques tandis que circulent les rumeurs de guerre.

Le triangle amoureux mari, femme , amant appréhendé ici comme cet obscur objet du désir féminin est à l’épicentre des préoccupations du réalisateur depuis The marriage circle (1924) .

 

 

La scandaleuse de Paris : Ange ou démon ?

A l’exorde du film, Lady Barker (Marlène Dietrich) visite un salon parisien de sa connaissance qui ne dit pas son nom et donne le change avec sa plaque consulaire à l’entrée. Le lieu a toutes les apparences d’un hôtel particulier qui sert de maison de passes et où se contractent des rendez-vous d’affaires avec ses salons et ses boudoirs privés en enfilade. Un mouvement d’appareil éthéré et presque diaphane et aérien vient rappeler en substance celui du Grand Canal qui échoue sur Gaston Monescu (Herbert Marshall) dans Haute Pègre.

Ce travelling latéral d’exposition nous fait découvrir ici comme par effraction les agissements occultes de la grande duchesse de Russie (Larra Hope Crews) qui vibrionne d’un salon l’autre ; attentive aux moindres désirs de ses énigmatiques convives dont Lady Barker.

Celle-ci est confondue avec la tenancière de l’établissement et une intrigue se noue fortuitement entre elle et Anthony Halton (Melvyn Douglas), citoyen américain, qui la presse de décliner son nom. Elle s’y refuse et il lui susurre le doux nom d’Ange à l’oreille.

Par une heureuse coïncidence,ce dernier a partagé une ancienne affinité amoureuse , Paulette ,durant la première guerre mondiale avec le mari de Maria, Frédérick Barker (Herbert Marshall). Quand on ne peut pas démasquer de front ses personnages, on les prend de biais par les êtres qui leur sont chers. Par cette manoeuvre d’évitement, Lubitsch déplace ses personnages comme les pièces d’un échiquier.

 

 

Quand Lubitsch s’autorise toutes les licences avec la censure

Ange est une comédie tout en demi-teinte. Comme Maria/Lady Barker dans le film, Lubitsch choisit de faire une infidélité à ses comédies écervelées. Le suspense ne fait pas mystère de ses secrets d’alcôve. Le soupçon adultérin plane sur le récit mais tout est dit dans l’ineffable et le non-dit et le spectateur est invité à remplir les béances du récit pour déjouer les ciseaux de la censure.

Les personnages sont engoncés dans un maniérisme de convenance et entravés par les conventions sociales et le souci de montrer d’eux-mêmes une façade de respectabilité où il n’y a pas de place
pour l’émotionnel. La femme du diplomate est apprêtée et masque ses sentiments dans le mascara et le clinquant vestimentaire.

Le film louvoie entre la romance d’alcôve où les protagonistes font antichambre comme les majordomes et les ramifications confuses et opaques d’une passion ou plutôt d’une passade cruelle de libertinage où les motivations sont phagocytées par le protocole. Lubitsch s’autorise toutes les licences avec la censure
car l’esprit lève toutes les censures. La vie conjugale est faite de compromis et de compromissions qui obligent à biaiser et être dans un embarras continuel. Le mari évente la liaison mais le couple recomposé in extremis sauve les apparences qui repart bras dessus bras dessous pour de nouvelles compromissions.

 

Distribution : Swashbuckler films

Titre original : Angel

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