Algérie, histoires à ne pas dire…

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Le film de Jean Philippe Lledo, troisième d´une trilogie composée du « Rêve algérien » et « Algérie, mes fantômes », traduit avec force et cohérence la complexité de l´Algérie d´aujourd´hui, ballotée entre passé et présent.

L’Algérie pendant la colonisation, le jour de son Indépendance et aujourd’hui. Les Français, les Juifs, les Espagnols et les Pieds-Noirs pendant la colonisation, le jour de l’Indépendnace algérienne et aujourd’hui… L’histoire de notre pays et celle de l’Algérie, les deux rives que représentent ces deux nations ne peuvent plus les comprendre, comme ils ne peuvent plus se comprendre depuis la Guerre d’Algérie et même bien après, générant un phénomène d’attraction répulsive. Liés par le sang et les larmes, Algériens et Français vivent dans des tabous qui confortent l’un ou l’autre pays à camper sur ses positions. L’absence de l’Autre lui donne tort et raison. Certainement un sentiment de honte, mais aussi du chagrin et de la peine. Tout ce qui fut enfoui ou refoulé jaillit devant la caméra, véritable exutoire et preuve historique de la complexité algérienne. Ce sont les algériens qui en parlent le mieux…

De toute évidence, l’indépendance de l’Algérie est une date importante. Néanmoins, le film fait scandale de l’autre côté de la méditerranée. Pourquoi ? Parce que les personnes interrogées, qui arpentent les sillons du passé, n’hésitent pas à ériger un discours très complexe : le passé et la tutelle française furent probablement une période plus heureuse que le présent (le dernier chapitre du film sur Tchitchi en est la digne représentation) mais pourtant, pour obtenir leur Indépendance, les Algériens n’auraient pas hésité une seule seconde à poser une bombe dans l’appartement ou la propriété d’un français ou un européen qu’ils adoraient :  les paroles de Katiba, à propos de sa relation fusionnelle avec Tata Angel, et la possibilité de mettre une bombe chez elle si cela permettait à l’Algérie de devenir souveraine sur ses propres terres, reflètent la complexité du rapport franco-algérien, des tiraillements psychologiques et des idéaux des Algériens.

Tout le mérite du film repose sur la vérité qu’il tente de dégager sans parsemer la mise en scène d’effets visuels ou métaphoriques inappropriés. Seule une métaphore sur une vigne, le canonique et poétique exemple de la plante qui pousse, de la progression, le symbole du renouveau, la représentation implicite du cheminement est ici l’acte fondateur d’une réalisation qui ne se soucie guère de l’apparence tant que la vérité des personnages devant la caméra touche au but…

Le film, dans sa première partie, insiste sur l’image des fils de fer, qui revient comme un leitmotiv pour signifier, semble t-il, deux choses : d’une part, le carcan de l’Histoire empêchant les anonymes algériens de pouvoir se libérer d’une Indépendance qui les priva de leur vérité personnelle, qui les meutrit dans leur chair. L’Histoire a écrasé ces personnes, leur histoire personnelle, pour faire triompher politiquement l’idée d’Indépendance sans se soucier des blessures intimes et sentimentales de la génération d’Algériens ayant noué des liens forts avec les Européens d’Algérie avant et pendant la guerre. D’autre part, la quintessence de cette relation ténue entre l’Histoire et la Vérité est symbolisée par ce motif du trait, du fil. En effet, les réseaux de fils coïncident avec les réseaux mentaux et intellectuels des protagonistes. Le plus difficile étant de recueillir des témoignages de personnes ayant été au cœur de l’action, vivant encore de souvenirs terribles de guerre, d’embuscades et de massacres. Aziz, dépité, s’agenouillant du fait du poids de la tristesse et du désarroi, pleure à la fin de la première partie du film qui lui est consacrée. Aterré, il se relève courageusement avec une force et une dignité impressionnantse et touchantes. Le culte de la libération intérieure faisant foi, preuve de la douleur qui est la sienne, il laisse parler son cœur, énonçant une critique de l’Indépendance de l’Algérie. Pour Aziz, les seuls héros de l’Algérie furent les anonymes morts pour d ‘obscures et vaines causes.

Algérie, histoire à ne pas dire…
est un film puissant. Aussi percutant que S21 de Rithy Panh. Jamais depuis le film du réalisateur cambodgien un documentaire ne fit exploser autant de tabous et suscita un tel émoi. Un tel film est nécessaire pour comprendre les relations entre les Français et les Algériens durant la période sombre de notre histoire commune. In fine, les films actuels sur la guerre d’Algérie, fictions (Cartouches Gauloises) ou documentaires (Algérie, histoires à ne pas dire), révèlent un visage de la colonisation qui n’est pas si manichéen, et finalement loin de ce qui est souvent présenté aujourd’hui. L’absence reste le terreau fondamental de toute œuvre tentant ce combler un vide. Comment apporter une rectification de l’absence par l’absence ? En peignant un portrait qui se veut autant à charge, quand les Algériens parlent de L’O.A.S par exemple, que dithyrambique lorsqu’ils parlent des échanges et du partage qui animaient leurs relations avec les Européens et les Juifs. Une Algérie multiethnique qui, par le prisme de victimes de guerre, reste en suspens quant à quête d’identité. D’ailleurs, l’image de Katiba se faisant apostropher par un jeune algérien de la Kasba lui siginifiant que pour lui, le passé est mort et ne signifie plus rien, que seul le présent de ces jeunes compte et que le réalisateur devrait les filmer eux plutôt qu’elle, compose avec l’idée d’un peuple et d’un pays écorchés et délaissés… En 1962, un choix légitime fut fait, mais une autre blessure s’ouvrit, invisible celle-là… 
 

Titre original : Algérie, histoires à ne pas dire...

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Durée : 178 mn


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