Que l’affaire ait été si médiatisée n’aide évidemment pas à se placer du côté de la fiction pure. Si toute l’oeuvre de Breillat est fortement teintée de choses intimes, Abus de faiblesse vient de quelque chose d’infiniment douloureux, et il est impossible de le voir sans y penser. Mais Catherine Breillat est fort heureusement une bonne cinéaste, et ces considérations finalement peu à propos, car comme elle l’explique en dossier de presse : “Je n’ai jamais écrit un mot dans un scénario qui ne correspondait pas à quelque chose que j’avais vu ou vécu”. Il n’empêche : celui-là, elle a mis deux ans et demi à l’écrire, contre trois semaines à son habitude pour une première version. Le film est, lui aussi, assez douloureux, car s’il y a bien quelque chose dont Breillat est exempte, c’est d’apitoiement – pour elle, et pour son personnage. On découvre Maud au matin de son attaque, et chaque image est d’une précision clinique : la bouche qui se déforme affreusement et les voyelles qu’il faut réapprendre à prononcer, en forçant ; les doigts qui ne veulent plus se déplier ; la canne sans laquelle on ne peut plus marcher. Abus de faiblesse est d’abord l’histoire d’une rééducation, de soi et du corps.
C’est pour sa mise en scène d’une manipulation consentie que le film vaut le plus fortement : difficile de faire plus salaud que Vilko (joué par un Kool Shen convaincant), mais pas impossible de comprendre comment sa manière d’être, son côté “dans ta face” doublé d’une incroyable confiance en soi peut séduire. S’il est hors de question de l’apprécier, Breillat ne le condamne pas plus qu’elle ne condamne Maud, la cinéaste dont la passion pour son métier, peut-être encore plus que la maladie, est aussi responsable des abus volontairement subis. L’idée d’un film, le projet d’un tournage avec une personne moralement ambigue sont le noeud du propos, et Breillat peint avec un grand savoir-faire les limites repoussées de son propre chef pour que puisse naître un film qui sorte de l’ordinaire. Abus de faiblesse arrive deux ans après le dénouement de l’affaire, le temps nécessaire pour trouver la bonne distance avec son sujet “histoire vraie”, pour que la véracité des faits puisse donner matière à du cinéma et non pas simplement venir s’y plaquer.
L’emballement de la relation mortifère est scruté à l’avenant : les rapports de Maud et Vilko sont, avant une phase finale d’initimidation, une succession de remises de chèques à sommes toujours plus exorbitantes. C’est bien là une pure idée de cinéma que ces scènes de répétitions martelées jusqu’à l’épuisement, et dont se dégagent un humour presque imperceptible, les signatures de Maud n’allant pas sans une certaine griserie à noter des chiffres clairement trop grands. Abus de faiblesse trouve son apogée dans sa dernière scène, infiniment soignée, et dont on parlait au début. Maud (une Isabelle Huppert sidérante) est mise face à ses responsabilités, face à sa famille qui demande comment elle a bien pu en arriver là. “C’était moi, mais c’était pas moi”, qu’elle répète comme un mantra. Double aveu du personnage et de Breillat, cette dernière en arrivant à l’heureuse conclusion que, si sa vie et son film présentent de fortes similitudes, il lui reste à nouveau de la place pour la fiction, et pour son art.