Le premier film est toujours une épreuve difficile : pour certains, il s’agit surtout d’une étape dans l’affirmation d’un art et d’un style propres ; d’autres s’en sortent avec brio. Uniformes et jupons courts (The Major and the minor) permet à Billy Wilder de rejoindre cette seconde catégorie de cinéastes.
Enfin, soyons francs et précis, il ne s’agit pas vraiment de son premier film, mais les conditions de tournage de Mauvaise graine furent telles que l’on peut ne pas le considérer comme un film à part entière. Pour son premier film américain donc, Billy Wilder bénéficie d’atouts non négligeables : suite à sa réputation de scénariste, les producteurs lui font confiance, et il s’attache les services de Ginger Rogers comme actrice principale, fraîchement « oscarisée » (dont la performance est grandiose, même si l’on ne croit pas un instant qu’elle est une enfant) ainsi que de Ray Milland, idéal en héros naïf et à cent lieux de son prochain rôle pour Wilder dans Le Poison. Par chance, le film est un succès commercial, et Wilder va enfin pouvoir devenir un cinéaste à part entière. Par chance ? Pas vraiment, si le film réunit tous les ingrédients d’une comédie réussie, c’est avant tout grâce au talent du cinéaste.
Tout d’abord, le scénario : partant sur une idée simple quoique quelque peu absurde (une femme se fait passer pour une gamine pour payer le train moins cher), la trame narrative est le prétexte à un enchaînement de gags, s’appuyant tant sur un humour de situation que sur des dialogues savoureux (et équivoques). Le récit est calibré « comédie », sans pour autant laisser de côté la romance. Pas de temps morts, l’histoire reste captivante de bout en bout. Mais, plus fondamentalement, le film pousse déjà la réflexion sur l’amour adolescent, des années avant le Lolita de Nabokov, où cet homme d’âge mûr tombe malgré lui sous le charme d’une gamine de 12 ans. Bien moins sulfureux que l’adaptation de Kubrick ou plus encore que le livre original, cette fausse idée d’érotisme n’empiète pas sur le film mais reste, sur le fond, l’attestation même que Wilder était déjà à l’époque un moraliste ironique.
La mise en scène de Wilder, pour une première oeuvre, est d’assez bonne facture, aussi rythmée que celle de Lubitsch, et aussi drôle qu’un film Hawks en bonne forme. Si elle n’a pas encore la classe et l’ingéniosité des prochains films, la « Wilder’s touch » fait déjà effet dans cette comédie sans prétention véritable, si ce n’est divertir. On regrettera cependant un certain classicisme, comme une retenue, que l’on pardonnera pour une première œuvre. La réalisation a en tout cas ce mérite de ne pas se faire ostentatoire et de se mettre au service de l’histoire.
On peut également cerner dans Uniformes et jupons courts les thèmes favoris du cinéaste : déguisements, obsessions sexuelles, femme fatale « déguisée », quiproquos, moquerie des institutions (en l’occurrence l’armée)…
Si le film n’est donc pas une œuvre essentielle dans la filmographie du cinéaste, il n’en occupe pas moins une place de choix puisqu’il pose d’emblée l’univers de Wilder. Une comédie fort sympathique, qui n’a pas pris de ride en plus de 60 ans, notamment grâce à un sens de la réplique inouï, des acteurs menant tambours battants un scénario certes déjà vu sur de nombreux points mais qui, à l’instar des Cinq secrets du désert, possède ce petit plus signé Billy Wilder. Et ça fait toute la différence.