Une Saison en France

Article écrit par

Loin des images de migrants bravant désespérément les océans, « Une Saison en France » suit l´attente d´un homme et de ses enfants dans l´espoir d´obtenir le statut de réfugié.

Abbas (Eriq Ebouaney), professeur épris de littérature, a fui la guerre en Centrafrique. Il est dans l’attente d’obtenir le statut de réfugié et travaille sur un marché, vivant de peu dans des logements précaires avec ses deux enfants et épaulé par Carole (Sandrine Bonnaire), qu’il a rencontré à son travail. Le cinéaste d’origine tchadienne Mahamat-Saleh Haroun filme avec pudeur et calme leur quotidien difficile, à l’horizon flou et en butte à des procédures administratives éprouvantes.

« Le temps administratif »

On ne peut voir Une Saison en France sans penser à l’actualité brûlante que le film confronte, ces dernières semaines ayant présenté, en France, le projet de loi asile-immigration du gouvernement. Des mesures qui voient, entre autres, des changements de temporalité importants, comme la réduction du nombre de jours donnés au demandeur d’asile pour déposer son dossier : jusqu’à présent déterminé à 120 jours, il pourrait être réduit à 90 jours. Si le demandeur d’asile voyait sa demande refusée par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), il n’aurait ensuite que deux semaines, au lieu d’un mois, pour faire son recours auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile. Derrière l’évidente politique dissuasive, on pressent la lutte contre la montre que doivent mener les demandeurs d’asile s’ils souhaitent voir leur démarche aboutir. Un temps judiciaire qui est au cœur du film, déjà annoncé dans son titre : une saison, trois petits mois pendant lesquels Abbas, ses enfants, son ami Etienne (Bibi Tanga), attendent. Face à ces processus bureaucratiques aux tonalités kafkaïennes, ils sont tributaires de figures décisionnaires abstraites : en témoigne le décor reconstituant la Cour nationale du Droit d’Asile, un lieu austère et dévitalisé, tout autant que la petite pièce dans laquelle les demandeurs d’asile pénètrent, au compte-goutte et accompagnés d’un vigile, afin d’accéder à une série de listes statufiant de la décision prise concernant leur sort.
 

« Une étoile brillera pour nous »

Devant cette violence sourde et implacable, pernicieusement dépourvu d’un visage humain et incarnée dans des courriers ou des lettres, les résistances comme les actes de désespoir qu’elle suscite (l’immolation d’Etienne à la Cour Nationale du droit d’asile), Mahamat-Saleh Haroun met en scène des interactions humaines distillant ici et là des doses de réconfort et de salut émotionnel (temporaire), à travers le personnage de Carole, interprétée avec force et douceur par Sandrine Bonnaire, ou par l’amie d’Etienne, Martine (la talentueuse Léonie Simaga). Un refuge représenté à son plus beau dans une séquence d’anniversaire : un long plan fixe dans l’appartement de Carole, où tous les quatre sont attablés, le long d’une baie vitrée qui projette au loin Paris depuis Bobigny. C’est une même précarité qui se perçoit ici, celle-là qui pousse les personnages à saisir la dégustation d’un gâteau ensemble ou le don d’un destin d’enfant encore plus précieusement. Le cinéaste prend le temps, avant que le couperet ne tombe, ne rendant que plus précaire la vie d’Abbas et de ses enfants, l’impossibilité pour eux de se projeter un avenir, et faisant peser un odieux « délit de solidarité » sur Carole. Une Saison en France, tout du long d’une incarnation forte et pudique, qui amène chacun(e) à tenir compte de l’importance de ce qu’il voit sans idéologie, entérine pourtant la mortification qu’il dévoilait progressivement. Livrés à eux-mêmes et clandestins, un père et ses enfants évoquent « une étoile qui brillera pour nous ». Expression qui laisse le film sur son constat accablant, devant l’illusion que donne une phrase qui ne semble briller que par ses mots, éclat de lumière sauvé seulement par la reconnaissance que leur a offert Carole.

Titre original : Une Saison en France

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 100 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.