Une incroyable histoire (The Window – Ted Tetzlaff, 1949)

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L´enfant qui criait au loup, transposé dans un univers d´une noirceur et d´une cruauté totales.

Il était une fois Tommy, petit enfant new-yorkais et fabulateur pas tenté. Ses mensonges répétés exaspèrent ses parents qui les supportent de moins en moins. Une nuit de forte chaleur, Tommy sort dormir dans l’escalier de service, et montant les marches à la recherche d’air frais, il assiste, depuis la fenêtre, à l’assassinat d’un homme. L’enfant est sous le choc, pour autant ses parents refusent de le croire, n’y voyant qu’une invention de plus. Tommy se retrouve seul avec son secret et se voit menacé par le couple Kellerton, ses voisins coupables du meurtre, qui ont rapidement compris que l’enfant avait tout vu. L’intrigue d’Une incroyable histoire s’appuie sur une fable d’Ésope citée en ouverture du film : L’Enfant qui criait au loup. L’histoire d’un jeune berger, s’ennuyant alors qu’il garde ses moutons dans la montagne, qui s’amuse à crier « au loup » dans le seul but de rire de la crédulité des villageois venant à son aide. Un jour, alors qu’il fait vraiment face à un loup, ses appels à l’aide n’y font rien, les villageois s’imaginant une nouvelle frasque de l’enfant, se refusent à lui venir en aide. Le loup dévore tranquillement le troupeau.

 
 

 

Dans ce film, Tetzlaff nous propose une transposition minimaliste du conte. L’histoire se déroule dans un quartier populaire de New York, dans une unité de temps et de lieu se limitant principalement à l’immeuble dans lequel vit l’enfant sur deux jours et deux nuits. Nulle question de moutons ici, c’est le berger – c’est-à-dire l’enfant – qui est traqué par le loup – c’est-à-dire le couple Kellerton -. Bien que le film s’ouvre sur un des mensonges de Tommy, nous n’avons qu’une idée très partielle des bobards proférés par l’enfant au quotidien. Il n’y a ici aucun doute, le crime s’est perpétré sous ses yeux, sous les nôtres aussi et a donc bien eu lieu. Tous deux uniques témoins du drame, l’enfant et le spectateur signent, de fait, un pacte qui les unira tout au long de l’intrigue. Le choix d’un tel point de vue fonctionne à merveille puisque toutes les injustices que subit l’enfant, toutes les menaces qui pèsent sur lui se répercutent directement sur le spectateur. L’empathie à l’égard du sympathique Tommy est totale, et ce d’autant plus que l’enfant joue de malchance. On reconnaît la mécanique narrative du conte, laquelle accable le pauvre enfant qui voit se déliter tout semblant de protection autour de lui. La promesse de confrontation entre l’enfant et le couple s’annonce comme une fatalité et c’est dans son attente angoissée que le film se montre le plus intéressant.

Tetzlaff parvient parfaitement à rendre compte de la proximité de cette menace. Puni par ses parents pour ce qu’ils croient être un mensonge, l’enfant est cloîtré dans une chambre qui ne lui offre aucune protection. Par une brillante idée de mise en scène, l’enfant, couché sur son lit, assiste au balai angoissé des pas des Kellerton, par l’intermédiaire du grincement de parquet qu’ils provoquent. Seul le plafond, cette fine couche de lattes de bois, sépare le chasseur de sa proie. Le danger, c’est aussi la fenêtre, « The Window » – titre original du film -, celle par laquelle nous voyons le meurtre initial, mais aussi celle de la chambre de l’enfant, qui donne accès à l’escalier de service. Les deux appartements communiquent entre eux et la promiscuité des espaces est telle qu’elle n’offre aucun répit à Tommy. Pour lui, l’horreur est proche, il est à l’étage du dessus, à quelques marches d’un escalier visible depuis une fenêtre qu’on ouvre car l’on a trop chaud. Cette menace apparaît d’autant plus oppressante qu’elle vise un enfant que le délaissement parental a rendu sans défense. En effet, le père de famille travaillant de nuit, la mère étant parti au chevet d’une tante malade, Tommy est seul face à sa peur. Si Tetzlaff a décidé d’adopter le point de vue de l’enfant, cela a pour conséquence de dévaloriser les comportements des personnes qui l’entoure. Explicable par le passif du gamin, l’aveuglement des parents – qui plus tard sera celui d’un chauffeur de taxi ou d’un policier – face à la détresse de Tommy agace forcément car provoquant l’empathie envers la détresse de l’enfant. Rien ne semble pouvoir entraver l’affrontement manichéen qui éclate dans la seconde moitié du film.

 
 


 
 
Six années avant La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955), Tetzlaff filme la confrontation déséquilibrée entre l’enfant et l’adulte, ici accentuée par leur dédoublement et la mine patibulaire de Paul Stewart. Le duel est savamment préparé et s’articule autour de quelques éléments de suspense très ténus où la place de l’objet est centrale : là un oreiller, là une poignée de porte, là une clé. Ces éléments rappellent bien sûr Hitchcock, bien qu’il ne faille pas en surévaluer l’influence. D’autant qu’il existe un lien plus direct entre les deux cinéastes puisque Tetzlaff a signé la photographie des Enchaînés en 1946. Ce passé de chef opérateur se retrouve ici dans l’utilisation d’un noir et blanc rendant parfaitement compte de l’atmosphère des lieux, de la moiteur de l’été à l’alternance jour/nuit qui scande le rythme narratif du film. Sans surprise, c’est de nuit, lorsque l’enfant est seul que la rencontre tant attendue aura lieu. Pris au piège, supplanté par cet homme filmé en légère contre-plongée, l’enfant semble totalement impuissant comme le suggèrent les multiples plans resserrés sur la détresse figée de son visage. L’enfant est enlevé, violenté, jusqu’au paroxysme de cette séquence où le mari Kellerton décide de le défenestrer. Heureusement pour lui – et pour nous -, le petit a de la ressource, et rusé et rapide, prendra la fuite et aura toujours un temps d’avance sur ses ravisseurs. Au bout d’une course-poursuite finale rythmée, Tommy sauve sa peau et s’enfuit vers l’happy end tant attendu. En définitive, ce n’est pas tant l’explication finale et sa course-poursuite anecdotique que tout le processus de mise en scène d’une situation anxiogène et traumatisante qui marquent les esprits. Film court – tout juste 1h15 -, au budget très réduit, Une incroyable histoire est un condensé de noirceur inventif et efficace.

Titre original : The Window

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Durée : 74 mn


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