Une Dolce Vita plus aussi douce ?

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A travers ce dossier nous allons prendre la température du cinéma italien et tenterons de répondre aux questions soulevées par les nombreux films sortis récemment en France : peut-on parler à juste titre d´un renouveau du cinéma italien? Les dernières sorties sont-elle des étoiles qui illuminent faiblement la nuit dans laquelle est tombé le cinéma italien depuis les années `80 ? Ou bien forment-elles une constellation capable d´orienter à nouveau les regards des spectateurs du monde vers l´Italie ?

Production et financements

L’économie du cinéma italien

Pour répondre à ces interrogations, il est fondamental de débuter par une analyse de l’état actuel de l’industrie cinématographique en Italie et de dresser un panorama global de la situation du cinéma italien contemporain.

Le soutien public

Le problème principal : l’Italie n’a jamais mis en place un système comparable au CNC français. L’argent public destiné au cinéma alimente le « fond unique pour le spectacle ». La « direction générale du cinéma », qui est une section du ministère de la culture (« Ministero per i beni e le attività culturali »), bénéficie d’une partie de ce fond pour financer et promouvoir le cinéma, devant soutenir à la fois producteurs, distributeurs et exploitants. Le « fond unique pour le spectacle » pose différents problèmes. Il sert à appuyer toutes formes de spectacles, du cirque au théâtre lyrique, en passant par le cinéma. De plus, son budget varie selon les gouvernements et sa répartition est réglée par une interminable série de lois, décrets… qui ne cessent jamais de changer. Concernant spécifiquement le cinéma, le problème majeur réside dans l’inexistence d’un système clair et simple, établi afin que le profit obtenu par l’exploitation des films (en salle ou en DVD) puisse être taxé et réinvesti ensuite dans la production cinématographique, créant ainsi un cercle vertueux comme c’est le cas en France.

La dernière loi définissant les règles pour financer le cinéma est la loi « Urbani » de 2004. Promulguée sous le gouvernement Berlusconi, elle est l’énième modification d’une loi, datant de 1965, qui se proposait d’organiser la répartition des aides au cinéma. En prenant le risque de simplifier le problème, on peut dire que cette loi établit tous les critères pour pouvoir bénéficier d’aides. Par exemple, le film doit avoir un quota suffisant de participants d’origine italienne afin d’être défini italien et de prétendre à ces aides. Un autre critère oblige le film à être produit ou co-produit par une société de production italienne. La loi donne aussi la possibilité à la direction générale du cinéma d’accorder des aides ultérieures aux films jugés à « intérêt culturel » (belle définition bureautique mais quelqu’un sait-il ce que cela signifie véritablement?), aux premiers films et aux courts-métrages.

Mais quelle est la réalité du soutien public au cinéma ? Entre 2004 et 2005, l’Italie a connu une chute faramineuse des investissements publics dans la production de films de l’ordre de : -69% passant ainsi de 94,9 millions d’euros à seulement 29,5 millions d’euros ! Cet effondrement a fait craindre le pire, surtout aux auteurs dont le succès commercial était loin d’être garanti. En effet, les investissements publics pour le film dit à « intérêt culturel » ont subi une baisse encore plus drastique : -75% (de 84 millions à seulement 21 millions) ! Heureusement, il semblerait qu’en 2006 il y ait eu une légère reprise des investissements publics, restant cependant beaucoup plus faibles qu’auparavant (37,1 millions d’euros investis en 2006). Si l’Etat ne continue pas à aider la production de films, le risque est connu : la loi du marché ne regarde ni l’intérêt culturel, ni la dimension artistique. Le requin plus fort mange les poissons plus faibles, et si les télévisions italiennes sont prêtes à investir (elles investissent déjà beaucoup d’argent chaque année) elles ont tout de même des gains à faire…

Analyse de la situation économique du cinéma italien

Les rapports publiés sur Internet par l’ANICA (association nationale de l’industrie cinématographique et multimédia) sont d’une grande utilité pour comprendre la situation globale du cinéma italien. Celui de 2006 porte un titre assez révélateur : « la fatigue de grandir ». En se penchant sur les six dernières années, on s’aperçoit que l’Italie a produit en moyenne 116 films par an. On remarque deux moments-clés : 130 films produits en 2002, et 134 en 2004. Mais aussi une chute en 2005 avec seulement 98 films, rattrapée par les 116 films sortis en 2006. Parmi ces films, environ 25% sont des coproductions. Donc, même si le nombre de films n’est pas négligeable, on se demande pourquoi si peu de films réussissent à franchir les frontières italiennes et pourquoi les réalisateurs italiens ont autant de mal à imposer leurs noms et à se faire (re)connaître par le grand public, non seulement à l’étranger mais aussi en Italie.

Pour trouver les réponses à ces questions, il faut prendre du recul et considérer le système dans sa totalité. Les films italiens ne constituent que 20-25% du marché cinématographique dans un pays qui dépend encore fortement de l’importation de films, surtout américains. Mais on comprend encore mieux la situation si on se plonge dans l’analyse des scores des films italiens au box office : En 2005, on constate que les cinq premiers films couvrent à eux seuls 50% des recettes totales et qu’ils sont les seuls à franchir la barre des 10 millions d’euros ! Or, ce qui est assez étonnant c’est que parmi ceux-ci il n’y a presque que des comédies. De plus ou moins bonne qualité, elles mettent en avant ce qui pousse les italiens à aller au cinéma : l’envie de se divertir et de rire avant tout. Malheureusement, la tête du classement est tenue par Natale a Miami qui fait partie de ce genre de comédies vulgaires et grossières qui « polluent » les écrans italiens depuis près de 15 ans. Ces films, qui sortent tous à la période de Noël, ne sont que des histoires sordides de petits bourgeois enrichis, sur fond de mauvaises blagues portant sur le sexe ! Et ce sont ces films qui font à chaque fois le plus de recettes !

Cependant, il reste un espoir pour le cinéma italien plus ambitieux : cela fait presque 6 ans que les films d’auteur italiens comme La clé de la maison de Amelio, Caterina va in città de Virzi’, Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana… parviennent à enregistrer des recettes qui s’élèvent à 3 ou 4 millions d’euros. Cette tendance semble se confirmer récemment avec comme unique, mais significative différence, qu’à partir de 2005, de nouveaux cinéastes s’ajoutent ou se substituent aux anciens. En 2005, on trouve effectivement à la 8ème et 9ème place, avec près de 5 millions d’euros de recette, La bête dans la cœur de Cristina Comencini et Romanzo Criminale de Michele Placido Et à la 14ème place se trouve, avec 3 millions d’euros de recette, Quelqu’un de bien d’Alessandro d’Alatri. Chose encore plus remarquable, ces films semblent intéresser des marchés étrangers et viennent de sortir en France… Alors, y a-t il un réel renouveau dans le cinéma italien ?

Vers une uniformisation des thèmes et un manque de créativité formelle ?

 

Sur le fond

Comme nous l’avons vu précédemment, l’industrie cinématographique italienne, dans le contexte actuel, se trouve confrontée à des problèmes de financements et de production. Néanmoins, nombreux sont les films italiens qui ont percé ces derniers mois, et percent encore, nos écrans. On assiste à une sorte de « vague déferlante à l’italienne » qui envahit les salles obscures ; point très positif qui nous amène à parler d’une certaine « renaissance » italienne à travers son cinéma.

Les sœurs Comencini nous présentent tout à tour La Bête dans le Cœur pour Cristina et A Casa Nostra côté Francesca. Emanuele Crialese revient en force, quelques années après le magnifique Respiro, avec Golden Door dans lequel il réussit parfaitement la confrontation entre « l’ancien » et le Nouveau Monde dont rêve tout émigrant du début du siècle. Paolo Sorrentino nous délivre quant à lui L’Ami de la famille dont la sortie est prévue pour le 2 mai. Aux côtés de ces films dont les sorties françaises sont très rapprochées, il ne faut pas oublier Libero, première réalisation de l’acteur Kim Rossi Stuart, Romanzo Criminale de Michele Placido ainsi que Arrivederci Amore, Ciao de Michele Soavi, qui habitaient déjà nos écrans l’année dernière.

Toutefois, on peut tout de même se demander si ce renouveau est bien réel. N’est-il pas juste une façade ? De bonnes idées percent dans ces nouvelles productions mais les thèmes abordés sont généralement identiques aux « anciens », et la manière de les mettre en œuvre reste assez conventionnelle. Ces « nouveaux » réalisateurs ne se laissent pas véritablement aller à de belles prises de risques et ne présentent, la plupart du temps, rien de très innovant. Les sujets traités restent souvent sociaux ; les films se fondent sur les malaises qui occupent la société italienne contemporaine (Francesca Comencini aborde les problèmes liés à l’argent dans A Casa Nostra, Samir s’attache aux maux de l’immigration au sein de l’Italie d’aujourd’hui…), mais l’approche ne varie guère. Les réalisateurs conçoivent très souvent leurs scénarios dans la sphère du privé, généralement au cœur d’un couple ou d’une famille, comme on peut le voir dans Libero par exemple, où l’enfant tient une place très importante. C’est notamment à travers ce personnage que le malaise abordé se traduit à l’écran. Le film de genre italien est en train de disparaître et tend vers un genre unique et uniforme. Les codes cinématographiques sont en voie de s’uniformiser. Où sont donc passés la « Dolce Vita », le néoréalisme italien, les westerns spaghettis, le polar à l’italienne? Tous ces nombreux et divers mouvements qui faisaient la richesse du cinéma italien…

Dans la forme

Sur le plan de la forme, les réalisateurs de la nouvelle génération peinent aussi à donner un nouveau souffle créatif à leurs réalisations. Alors que le cinéma italien a connu ses heures de gloire grâce à la maîtrise esthétique des films de genre et à la poésie formelle du néoréalisme, Kim Rossi Stuart, les sœurs Comencini et Francesco Munzi s’en tiennent à une réalisation très conventionnelle réexploitant les techniques précédentes sans véritablement innover. Il y a quelques années, le néoréalisme italien révolutionnait le cinéma en rompant avec l’esthétique classique et en créant l’image pensante telle que la nomme Gilles Deleuze. Les réalisateurs actuels se contentent de reprendre les mêmes codes sans les dépasser. Ils utilisent toujours autant de plans fixes où chaque personnage a une fonction bien définie, un éclairage au faible rôle expressif et des événements qui se suffisent à eux-mêmes. On peut également voir ressurgir l’utilisation du point de vue de l’enfant dans Libero de Kim Rossi Stuart et Samir de Francesco Munzi, point commun de nombreux films du néoréalisme comme Rome Ville Ouverte ou Paîsa de Roberto Rossellini. S’appuyant sur les films et le style qui ont fait la renommée de l’Italie, ces réalisateurs ne parviennent pas à insérer leur propre personnalité et une touche de modernité.

Une autre technique peut être observée ce mois-ci. Sans doute pour espérer un succès malgré un sujet social subversif, Francesca Comencini se plie au genre à la mode, le film choral avec A Casa Nostra. Celui-ci laisse percevoir un travail réfléchi entre la réalisation cyclique et le rôle de l’argent qui passe de mains en mains, mais elle emploie des raccourcis peu subtils voire des clichés simplifiant le dénouement, des personnages stéréotypés et se contente d’exploiter la forme la plus en vogue du moment.

Ainsi, aucune tentative artistique nouvelle n’est prise, aucun chemin de traverse n’est emprunté. La cause peut venir –encore une fois- du financement mais le manque de courage et de prises de risques en sont aussi à l’origine.

Lueur de véritable renouveau ?

Mais cette nouvelle vague de réalisateurs italiens nous a quand même réservé son lot de bonnes surprises et dans ce sens, on peut parler d’un certain renouveau du cinéma transalpin. Un film tire notamment son épingle du jeu : L’ami de la famille de Paolo Sorrentino dans lequel on retrouve les thèmes de l’amour et de l’argent abordés chez Francesca Comencini. Ce jeune réalisateur remarqué en 2004 avec les Conséquences de L’amour, signe une comédie dramatique dérangeante qui suit Geremia de’Geremei (Giacomo Rizzo), un usurier affreusement laid, riche et avare, cynique et ironique obsédé par l’argent. Intégrant bande-son techno, images de clip vidéo, esthétique baroque et plans travaillés, Paolo Sorrentino, dont le film est une coproduction franco-italienne, se distingue par son audace. Il ose imposer son propre univers déjanté quitte à déplaire à plus d’un (notamment au Festival de Cannes 2006 où il a été conspué), mais surtout pas à nous. Un coup de cœur à ne pas manquer.

On peut aussi nommer deux cinéastes, aux carrières déjà lancées, qui se distinguent par la réussite, aussi bien esthétique que scénaristique, de leurs films : Michele Placido avec Romanzo Criminale et Michele Soavi avec Arrivederci Amore, Ciao. Ne se focalisant pas uniquement sur le visuel ou sur le scénario, ces deux long-métrages sont des performances épatantes revisitant l’histoire italienne.

Romanzo Criminale, septième réalisation de Michele Placido, est une réussite car le réalisateur ne se contente pas d’une maîtrise parfaite des codes du film de gangsters mais parvient à insérer des références historiques (les années de plomb, les attentats terroristes, la mafia, la drogue…) et cinématographiques. Reconstituant l’Italie des Brigades Rouges, le film traite des « pires années » de l’histoire de l’Italie, en comparaison avec Nos meilleures années. Michele Placido s’inspire ici de Martin Scorsese, des polars des années 70 et de Sergio Leone (Il était une fois dans l’Ouest) et aime à dire que ce film, dur et noir, rappelle le cinéma politique de Francesco Rosi ou encore d’Elio Petri. L’intérêt de Romanzo Criminale est aussi dû à une caméra aux changements de plans très rapides et à la combinaison de fiction et documentaire (images d’archives, véritables écoutes téléphoniques, …).

Après onze ans d’absence, Michele Soavi revient avec Arrivederci Amore, Ciao. Cinéaste spécialiste du fantastique, il signe un polar amer, étrange, atypique et séduisant où les personnages, bien travaillés, sont parfois d’une grande violence. Il redonne ainsi un souffle au cinéma italien tout en s’affranchissant des contraintes télévisuelles. Exemple d’une réussite. Décrivant le parcours chaotique d’un homme dont la rédemption sera un échec, la mise en scène est complexe et ultra-soignée. Alternant flashs-backs, envolées hallucinatoires psychédéliques et sublimes reconstitutions glauques des milieux interlopes, le film va même jusqu’à adopter le point de vue d’une mouche lors d’un procès. Surprenant mélange d’humour et de noirceur, Arrivederci Amore, Ciao, où l’on retrouve Mr. Placido en tant qu’acteur, n’est pas seulement un brillant retour aux polars des années 70 mais également une immersion dans l’univers si particulier de Michele Soavi où s’entremêlent farce, horreur, fantastique et noirceur.

Tous deux ont été des grands succès salués par la presse et récompensés dans les festivals. (Festival International du film de Berlin 2006 pour Romanzo Criminale ; David di Donatello (équivalent des Césars) de la Meilleure chanson originale de Caterina Caselli et deux autres nominations : Meilleurs décors et Meilleur second rôle féminin pour Isabella Ferrari). Développés à partir de romans, ces films opèrent un retour aux films de genre et mêlent réussite esthétique et importance scénaristique. Combinaison gagnante absente des autres films. Espérons que Romanzo Criminale et Arrivederci Amore, Ciao, serviront de modèles pour les prochaines réalisations de la nouvelle génération et influenceront dans le bon sens les producteurs désireux de succès.

Alors, peut-on réellement parler de renouveau en ce qui concerne l’état du cinéma italien au jour d’aujourd’hui ? Le débat se déplace sur le choix de ces réalisateurs et pour répondre à cette question de renouveau, il faut pouvoir répondre tout d’abord à celle-ci : la façon quelque peu uniforme (problèmes de société traités au sein de la sphère privée, le peu de prises de risques et d’innovation dans la forme) d’aborder les thèmes de ces films est-elle un véritable choix de la part des réalisateurs ou alors s’impose-t-elle à eux par peur de ne pas trouver les financements nécessaires ? Exercent-ils leur art de manière à plaire ou en suivant leurs idées se souciant peu de déplaire et de déranger ?

Ce sont des questions fondamentales qui malheureusement ne trouvent pas de réponse sinon à travers des prises de position stériles et dangereuses. Les réalisateurs dénoncent leur manque de liberté (dans « Il Caimano », Nanni Moretti s’attaque directement au système de financement italien géré par la TV) et en même temps les producteurs trouvent la raison principale du déclin du cinéma italien dans le manque d’ « appel » des films. En 2003, après avoir reçu le Lion d’or de la carrière à Venise, Dino de Laurentiis, grand producteur italien parti à Hollywood pendant les années ’70, s’exprimait dans ces termes sur le sujet : « Le problème des réalisateurs italiens c’est qu’ils veulent faire des films en gardant un œil sur la critique. Mais nous sommes des show-men et on doit faire des films seulement pour le public. Maintenant, je veux démontrer au cinéma italien qu’il y a des grandes histoires à raconter. J’ai envie de rentrer en Italie et de faire des films qui arrivent à sortir de l’Italie ».

Si on veut cesser de voir les parties en cause se renvoyer la balle sans trouver de solutions, la seule issue consiste à réinventer le système du cinéma italien, en allant à l’encontre des différentes exigences. Le 22 mars dernier, Andrea Colasio (parti de centre-gauche « La Margherita ») et Valeria Franco (DS –democrates de gauche-) ont expliqué leur proposition de loi qui semble vouloir aller dans cette direction en créant en Italie un appareil proche du CNC français. Cela serait peut-être l’occasion de mettre fin à la désorganisation des aides publiques au cinéma et permettrait à l’Etat de jouer le rôle de médiateur entre l’industrie et les réalisateurs et leurs diverses exigences… Un renouveau serait-il véritablement en marche ?


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