Un poète

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Juste et droit

La belle et la bête

Óscar Restrepo, un poète colombien has been vivant chez sa vieille mère est alcoolique et ne voit plus sa fille adolescente qui, elle, passe son temps chez son ex-femme ; sommé par sa fratrie d’enfin trouver un travail il croise, une fois devenu professeur de collège, la route d’une jeune élève douée pour écrire en rimes. Tout en arrêtant de boire, il se met donc en tête de tirer sa pupille de la misère, elle qui vit dans un quartier pauvre, pour la faire devenir une artiste accomplie. Tout ne se passe évidemment pas comme prévu, et ce qui permet à un poète de déjouer la nature mélodramatique d’une histoire qui s’y prêterait pourtant tient pour beaucoup à son interprète principal : Ubeimar Rios. Il est un acteur non professionnel et un véritable instituteur passionné par l’enseignement et la poésie dans la vie civile. Laid et bourrue, il sait jouer de son physique ingrat et des ses capacités drolatiques innées pour désamorcer et surtout rendre ironique, une succession de situations qui, dans le cas contraire, auraient fait sombrer le film dans le sordide.

Entre rire et pleurs

Une capacité que l’écriture scénaristique lui permet de mètre pleinement à profit, dans la mesure où son personnage est caractérisé, à l’instar de ceux d’acteurs burlesques type Buster Keaton, comme un grand maladroit, drôle malgré lui, dont l’étourderie exhibe les failles d’un système rigoureusement organisé. Une orientation qui permet à Simón Mesa Soto, en l’occurrence, de révéler les envers d’une société artistique établie et sûre de ses valeurs. De plus, l’anarchie générée par son antihéros permet à l’auteur de rendre toutes les situations dépeintes ambiguës quant à leur nature. Une nature qui oscille donc, perpétuellement, entre le drame et la comédie. Ainsi, le public ne sait jamais totalement s’il doit rire ou pleurer de ce qu’il voit et, ce faisant, est efficacement mis mal à l’aise et poussé à la réflexion. Toutefois il faut ici souligner que la tendance à l’humour est plus marquée en ouverture du film, ce qui lui donne alors une allure de caricature, et que le drame se matérialise surtout dans sa dernière partie, ce qui lui procure en ces instants des accents de tragédie.

Déséthylisation

Un déplacement d’une tendance à l’autre qui est justifiée par l’évolution d’un personnage principal qui passe, en cours de film, du statut de bouffon pochtron à celui de lanceur d’alerte sur l’état du monde, éveillé et lucide du fait de l’arrêt de sa prise d’alcool. Soit un état évolutif qui a pour conséquence d’influer mécaniquement sur les relations qu’il entretient avec ses collègues et « amies » et, ainsi, d’amener de multiples rebondissements ou péripéties en cours de route. Cette évolution a aussi pour avantage de subtilement, paradoxalement, suggérer les origines mêmes de l’alcoolisme primordial du personnage, voire de le justifier. Soit une transformation qui le complexifie, l’approfondit, et permet au public de renverser son jugement initial sur ses vices et son fond qu’il était tenté de juger égoïstes ; au point de s’interroger sur ses propres à priori. Cela avantage aussi l’identification et l’empathie que l’on ressent pour Óscar et démultiplie la force des émotions que l’on éprouve durant le final de l’œuvre, quelque peu étonnant par sa mélancolie.

La poésie pellicule

Concomitamment, l’auteur à l’inspiration de tourner son film en 16 mm. Couleurs et contrastes, associés à un cadrage rigoureux et nerveux à l’image du héros, enjolivent ainsi un environnement qui, le cas contraire, serait suffoquant. D’autre part, cette poétisation trouve un écho direct avec les questions abordées tant par l’œuvre en elle-même que par les personnages au cours de leurs échanges. Les thèmes étant : la force ou la puissance de la poésie, les raisons qui pousse à devenir poète (le fantôme de Charles Bukowski rôde) l’hypocrisie du milieu qui tient à ce que les pauvres parlent de pauvreté et non d’amour, le déterminisme de classe, la manipulation, la subjectivité de points de vue se voulant objectifs, les modes d’interprétation intellectuelle au détriment de la réalité (le néo-féminisme est rapidement égratigné) ou les sacrifices nécessaires pour rester droit tandis que la violence et l’hystérie (merci les nouvelles technologies) guettent à chaque coin de rue.

La morale du juste

L’auteur aborde donc chacun de ces thèmes par le prisme d’un film au ton ambigu et du point de vue d’un personnage entier et sincère, bien que perclus de défauts. Cela lui permet d’éviter de tomber dans tout moralisme pour demeurer dans l’humanisme. Qui plus est, bien que l’œuvre face deux heures et soit segmenter en quartes parties, le montage nerveux, associé aux plans dynamiques, donne un rythme intense, accroît avec efficacité suspense et surprise, donne au film un caractère puissamment organique et un rythme heurté, vif, qui n’ennuie jamais. Les quelques musiques, quant à elles, permettent d’amener intelligemment un surplus d’humour et d’accentuer ainsi la mise à distance réflexive du public. Quelque part entre Amours chiennes et Affreux sale et méchant, un poète est une réussite tant dans sa gestion de l’émotion que dans la façon dont il brasse avec sensibilité subtilité et intelligence des thématiques générales au potentiel sentencieux.

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Durée : 2 H mn


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