Tout feu tout flamme

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Le film le plus mésestimé de Jean-Paul Rappeneau est probablement aussi son plus émouvant.

Tout feu tout flamme est un film charnière dans la filmographie de Rappeneau. Encore teinté de la frénésie des premières réalisations mais lorgnant déjà vers le ton plus sombre et mélancolique de Cyrano et Le Hussard sur le Toit, il offre un entre-deux auquel le public n’était sans doute pas encore prêt, ce qui explique son relatif échec commercial.

Eloge de l’emmerdeuse

Un des motifs récurrents des premières œuvres de Rappeneau, c’est la présence systématique d’héroïnes au caractère bien trempé, insupportable et craquante à la fois. C’est leurs agissements inconsistants qui obligent le personnage masculin à se révéler à lui-même afin de les séduire. Le plus souvent agacé, il finit pourtant par succomber au charme de celle qui lui aura causé mille tourments.

Le contexte, les enjeux et les acteurs changent mais le schéma reste relativement le même durant ses trois premiers films, signe de l’influence de la screwball comedy qui fonctionne de manière identique. Philippe Noiret était poussé à devenir un héros de la Résistance par les trépignements d’ennui de Catherine Deneuve (La Vie de château), Belmondo contraint de se mêler à la grande Histoire pour reconquérir Marlène Jobert (Les Mariés de L’An II)et Yves Montand quittait sa retraite dorée pour les beaux yeux de Catherine Deneuve encore (Le Sauvage). On pourrait y ajouter la Isabelle Adjani de Bon Voyage dont les caprices faisaient le malheur de Grégory Durangère. Exception notable cependant, l’enjeu était cette fois de se débarrasser de l’influence de la femme et non pas d’y céder. On l’aura vu, la femme est pour Rappeneau un être en ébullition et insatisfait, faisant des ravages sur son passage. Tout feu tout flamme fonctionne également sur les mêmes bases que les précédents : relations amour/haine, comédie survoltée, course poursuite… Pourtant qu’arriverait-il à ce schéma si on en détournait les fondamentaux ? Et si l’emmerdeuse était un emmerdeur ? Si à la place du couple habituel on mettait en scène une relation filiale ? Qu’y aurait-il de nouveau à raconter ? C’est ce que cherche à savoir Rappeneau en grippant volontairement la mécanique huilée qui a fait sa gloire.

Père et fille

Après une première collaboration compliquée sur le tournage du Sauvage, Rappeneau et Montand s’entendront à merveille sur ce second film ensemble. Il est d’ailleurs amusant de constater que les seuls films du réalisateur se déroulant à une époque contemporaine ont été faits avec Montand. Celui-ci traduit au masculin les mémorables rôles d’empêcheuses de tourner en rond des films précédents en jouant un homme d’affaire un peu roublard  et escroc. Son retour impromptu va bouleverser la vie de sa petite famille qui a appris à vivre sans lui, lorsqu’il va les entraîner dans une embrouille financière alambiquée. Isabelle Adjani est la fille aînée, celle qui a dû tout prendre en charge lors des absences à répétition d’un père ne réapparaissant qu’en cas de nécessité financière. L’enjeu se déplace donc de la réunion de couple à la réconciliation père/fille.

 

Ce rapport nouveau dans sa filmographie ne freine absolument pas Rappeneau qui réserve à ses héros des empoignades au moins aussi survoltées que celles entre Belmondo et Jobert dans les Mariés de L’An II. Le film est toujours drôle et alerte, l’ennui ne pointe jamais mais en filigrane se dévoile un spleen inédit. Isabelle Adjani tombe le masque peu à peu, son caractère psychorigide et sévère dévoile en réalité une petite fille qui a manqué de la présence et de l’affection de son père. C’est lors d’une traque en campagne où ils sont isolés tous les deux que le rapprochement peut se faire. Rappeneau réserve alors de jolis moments de tendresse soulignant l’amour qui unit le père et la fille ainsi que le fossé provoqué par leur séparation. Le dialogue à propos de l’orage et surtout la scène de poursuite où Adjani avoue ne pas savoir faire de vélo (faute d’avoir eu quelqu’un pour lui apprendre enfant) offre à voir une scène touchante avec un Montand donnant une leçon tardive. On retrouve là cet élément récurrent chez Rappeneau, qui consiste à utiliser un cadre naturel pour laisser ses personnages parler enfin à cœur ouvert. Evidemment, le plus frappant serait l’île isolée abritant Deneuve et Montand dans Le Sauvage, mais aussi la scène d’amour sur l’arbre des Mariés de L’An II.

 

Même si, toujours juste et efficace, l’intrigue policière justifiant les conflits est traitée avec légèreté (le personnage de Nash pourrait être bien plus menaçant), servant davantage de prétexte notamment par sa résolution un peu facile. La famille désormais unie, la conclusion sera douce-amère avec Yves Montand à nouveau sur le départ et qui va encore confier ses responsabilités à Adjani. En un dernier regard et sans un mot, tout est dit. La fille ne se sentira plus jamais abandonnée, son père l’aime et pense à elle. Elle veillera sur la famille en attendant son retour.

Titre original : Tout Feu Tout Flamme

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Durée : 108 mn


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