The We and the I

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Le bus magique de Michel Gondry.

Un poste de radio en forme de minibus dévale les rues du Bronx, crachant sa musique. Il roule sur les trottoirs, évite les trous dans la chaussée… La séquence est ultra cool, et si ce n’est la taille de l’engin, on pourrait se croire chez Soderbergh. Brutalement, le petit objet vintage se fait écraser par un vrai bus. Ce n’est peut-être pas volontaire, mais la scène a une valeur fortement symbolique. À voir The We and the I, Michel Gondry donne l’impression de délaisser sa patte techno-bricoleuse de génie qui faisait la qualité de ses clips, mais empêchait parfois à ses films d’atteindre leur pleine mesure, le truc prenant le pas sur l’émotion. Pourtant, The We and the I reste un film-dispositif.

Après The Green Hornet et avant l’inquiétante adaptation de L’Écume des jours – inquiétante non pas tant par la présence de Gondry, mais par le choix des acteurs : Audrey Tautou et Romain Duris –, comme à son habitude, Gondry alterne « grosse » production et film plus intimiste. Plus que sur une intrigue définie, The We and the I adopte la forme du trajet du bus : de la sortie d’un groupe d’élèves du lycée le dernier jour d’école jusqu’à ce que le dernier ait quitté le véhicule. Simple, pas (ou si peu) d’artifices (magnifique montage de trois vidéos des kids, brève inclusion d’une image dans la vitre du bus…), le film se fonde essentiellement sur les situations développées en amont avec une amorce de scénario (Gondry traîne l’idée avec lui depuis une vingtaine d’années) et les jeunes d’un centre d’activités de quartier. L’espace clos du bus (mais ouvert sur l’extérieur) agit comme un révélateur. Au fur et à mesure que le film avance et l’engin se vide, on passe du phénomène de groupe et de la représentation sociale – de la nécessité de jouer son rôle : le caïd, la bombe, la bonne copine, le souffre-douleur… –, à la révélation des caractères et l’affleurement de l’intime. C’est toute la symbolique du titre : le passage du « nous » au « je », du groupe à la personne.

 

Le pari (risqué) du film, c’est de s’intéresser à tous, de mettre tous les ados (ou quasi) au centre de l’image au moins une fois. Plutôt que d’élire trois/quatre personnages qui gravitent autour d’une intrigue linéaire, c’est le dispositif – l’espace du bus et la durée, certes un peu arrangée, du trajet – et les personnages qui orientent le film. Bien sûr ce sont ceux qui ont le plus à dire qui descendront en dernier. Mais Gondry n’en bouleverse pas moins la structure narrative et ses habitudes – somme toute assez classiques dans ses films précédents, même pour l’apparemment plus complexe Eternal Sunshine of the Spotless Mind… Comme si le réalisateur reprenait le chantier laissé en plan par le regretté Robert Altman, orchestrant comme lui une symphonie de personnages, mais, à sa différence, dégagée de tout prétexte narratif autre que la nécessité du trajet (1). Alors forcément au début, c’est une foire monstre. Comme le bus, le film semble ne pas pouvoir contenir tous ses personnages. De multiples intrigues, histoires – celles de jeunes lycéens du Bronx – émergent. Certaines se voient développées jusqu’à leur terme, bien d’autres avortent avec la sortie de champ des personnages. Un petit écueil du film réside dans la volonté, louable, de Gondry d’absolument contextualiser son film. Le Bronx est un quartier difficile et, au-delà de la banalité de ce qui est montré (finalement peu de choses de ce bus sont uniquement spécifiques à ce quartier), Gondry veut témoigner de l’arbitraire et du danger qui guette ses personnages en dehors du bus. Le personnage d’Elijah lui pose ainsi problème. Absent du bus, comment évoquer son histoire ? Si sa vidéo et son ultime incursion dans le trajet trouvent leur logique, les autres évocations, disons plus socialisantes (métro, garde à vue…), s’intègrent plus difficilement.

 

« T’es pas rien. Mais t’es assez nul quand même ! »

Ainsi décrit, on pourrait se demander ce qu’il reste de Gondry dans le film. Il reste l’essentiel : son regard, son amour humaniste pour les anti-héros. Dans son bus du Bronx, les caïds font la loi, mais pas sûr qu’ils l’emportent au final. Le petit gros qui terrorise tout le monde perdra lamentablement la face sous les coups de sac d’une petite vieille. Même avec des circonstances atténuantes, il n’y a pas d’échappatoire : Gondry ne sauvera pas l’agresseur par pure bienséance. La gentillesse d’un instant ne suffit pas, le badass finit toujours par tomber sur un os. Tous en prennent pour leur grade, de la brute épaisse à la pimbêche narcissique, souvent de manière assez comique. Loin d’être moralisateur, Gondry fait passer la pilule par un humour et une légèreté qui lui sont propres et surtout par une égalité de traitement des personnages. S’il ne les sauve pas, ses caïds sont aussi humains que leurs victimes. Aussi différents soient-ils, chacun semble porter en lui une part du réalisateur, l’autoportrait travesti culminant dans les personnages des deux dessinateurs qui d’un coup de crayon revisitent la réalité et dont les esquisses évoquent parfois ses clips. S’intéressant aux autres, Gondry met aussi beaucoup de lui dans son film. C’est cette sincérité plus directe qui touche avant tout dans The We and the I.

On a beaucoup dit des films de Michel Gondry qu’ils étaient porteurs de nombreux espoirs. Jamais avant The We and the I, il n’a été aussi proche de les atteindre.

(1) Les plus beaux films d’Altman donnent l’impression de suivre librement, faussement arbitrairement le ballet des personnages. Pourtant aussi libres et virevoltants qu’ils soient, ses films conservent un événement qui les cadre : la campagne pour les primaires présidentielles dans Nashville, la semaine de la mode et une enquête dans Prêt-à-porter, une énigme policière dans Gosford Park, la dernière émission avant la fermeture d’une station radio dans le prémonitoire The Last Show

 

Titre original : The We and The I

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Durée : 103 mn


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