Connu pour sa manière acerbe d’aborder les écueils de la société coréenne, tout comme son traitement décomplexé de l’érotisme au féminin (Une femme coréenne, en 2003, The President’s last bang, en 2005), le cinéaste trouve même dans cette histoire la matière idéale pour compléter une filmographie d’ores et déjà originale. De fait, sa nouvelle version, présentée à Cannes en mai dernier et repartie bredouille de façon assez inexcusable, est une réussite. Notamment sur le plan formel, mais encore du strict point de vue du suspense : c’est déjà beaucoup…
Premier bon point, The Housemaid 2010 a été réécrit à l’aune d’une modernité davantage basée sur l’artifice que ne l’étaient les années 60. Fric, chic et toc. Une réactualisation d’autant plus juste qu’elle n’esquive en rien les mécanismes cruels d’humiliation qui se jouent, toujours, quoi qu’il en soit, derrière cette obsession du paraître. La très riche maison dans laquelle la "housemaid" est engagée, fascinante de luxe et de beauté, n’est qu’une vitrine dorée, bien sûr, reposant sur des fondations autrement plus putrides. Le talent d’Im Sang-soo, c’est de nous amener à cette corruption, cette saleté, par le visage, simple et naïf a priori, de cette aide-gouvernante. Projection, identification ? Un peu, au début et puis… non ! Car tandis que le réalisateur tisse sa toile hitchcockienne dans cette immense demeure claustrophobe, l’on comprend bientôt que toutes les relations, en fait, sont placées sous le signe du pouvoir… Malaise garanti.
Maîtrise formelle
L’inquiétude et la tension (sensuelle, mais pas seulement) sont irrésistibles : chaque individu étant, au fond, prisonnier de sa condition sociale. Chaque femme, notamment, puisque vouée à la soumission de toute façon (qu’elle soit mariée, amante ou gouvernante). Bien sûr, le complot détestable ourdi par le mari, l’épouse et la mère de celle-ci contre la jeune femme, et la vengeance jusqu’auboutiste de cette dernière, donnent au film et à ses spectateurs quelques repères réconfortants, si l’on peut dire. Le bien, le mal semblent à peu près à leur place. Mais l’héroïne pseudo-candide n’est-elle pas, aussi, animée par quelques désirs malfaisants, voire impénétrables ? Et n’est-il pas naturel, pour la jeune épouse du maître, de défendre son pauvre statut de servante de luxe, puisque c’est sa seule chance de survie ? Voilà qui brouille sacrément les pistes de cette fable sur la perfidie, sinon sur la lutte des classes !
De fait, et c’est le deuxième bon point de ce long métrage, l’extrême précision de la mise en scène, le soin porté aux cadres, aux effets de caméra, la froideur impeccable de la photographie ajoutent encore à cette impression permanente d’encerclement des personnages. De la belle ouvrage, d’une pertinence rare surtout : cette distance glaçante met d’autant plus en relief la monstruosité des personnages et de leurs relations. Seul l’enfant (une fille unique) de la famille semble avoir conservé une part d’humanité, pas totalement perverti encore… On attend donc, au minimum, une explosion en guise d’épilogue, le craquèlement progressif de ce vernis soyeux et bourgeois imitant, en quelque sorte, le compte à rebours d’une bombe à retardement. Baroque, "border line", limite Grand Guignol, elle est à la fois impressionnante et fantastique, comme peut l’être, parfois, la vérité. C’est dire la maîtrise, narquoise, d’Im Sang-soo. Son audace, décidément.