Swallow

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Un véritable étendard d’une ode à l’acceptation de soi : envers et malgré tout.

« Fais semblant jusqu’à ce que tu réussisses »

Prononcés par la belle-mère d’Hunter – le personnage principal du film – ces mots résonnent comme le constat amer de la vie de celle-ci. Dans le premier long métrage du réalisateur américain Carlo Mirabella-Davis nous suivons une jolie jeune femme au foyer évoluant tant bien que mal dans le milieu bourgeois de son compagnon jusqu’à ce que, tombant enceinte, elle développe le syndrome de PICA. Ce syndrome, considéré comme faisant partie des troubles du comportement alimentaire, et qui consiste à ingérer des objets de différentes tailles et matières bien qu’ils ne soient pas comestibles, va mettre à la fois son bébé et sa vie en danger tout en créant paradoxalement une chrysalide inespérée qui va marquer le début de sa quête d’identité. Un propos fort et admirablement porté par une Haley Bennett (Hunter) grandiose.

 

 

Desperate housewive

Hunter est belle. Hunter est jeune. Et Hunter est le faire-valoir de Richie, son mari (Austin Stowell). Venant d’un milieu modeste elle s’applique à n’être rien de moins que ce que l’on attend d’elle : une charmante maîtresse de maison. Celle qui semble incapable de prendre une décision sans l’aval de sa belle-famille devrait s’estimer heureuse de la chance qu’on lui accorde en lui octroyant cet avenir pense-t-on, et pourtant le constat nous blesse par le réalisme qu’il dégage. On ne connaît que trop bien la pression qui pèse sur la gent féminine : soit belle, sait tenir une maison, trouve un bon mari et occupe-toi bien de lui car il est et sera toujours celui qui passe en priorité. Avec Swallow, le réalisateur appuie avec justesse là où ça fait mal. Soulignant habilement, avec un scénario qu’il a écrit, la pression ressentie par une femme dans un monde blanc hétéronormé.

Car pour Hunter derrière cet air de poupée se joue toute une mascarade l’emprisonnant un peu plus chaque jour dans la prison de verre qu’est son foyer. Elle doit partager son temps entre sa nouvelle famille, son mari et les réceptions, sa véritable compagne de vie devenant la solitude profonde qui l’habite dans cet univers qui ne lui laisse pas trouver sa place. Tout au long de cette heure et demie on la voit faussement entourée, tantôt par un cadre strict dans la première moitié du film qui l’a contraint à s’adapter à lui. D’autres fois à cause du discours des personnages, belle maman lui conseillant de laisser pousser ses cheveux pour plaire un peu plus à son fils, ou son mari qui souhaite rester durant les séances chez la thérapeute comme si elle risquait de dire des bêtises si on l’autorisait parler pour elle-même. Au final personne ne semble s’intéresser réellement à Hunter ni la regarder autrement que via le prisme de ce qu’ils projettent sur elle. Même quand tout semble aller elle dénote par la couleur de ses vêtements – être la seule habillée en blanc quand tous sont en noir- ou par un gros plan enfermant son visage afin de faire ressortir toute l’ampleur de son angoisse. Le point d’orgue est atteint lors d’un câlin faussement anodin réclamé par un collègue lors d’une soirée auquel Hunter répond par un remerciement criant son désespoir.

 

 

Thriller contemplatif

Le mélange des genres au cinéma ne date pas d’hier, pourtant il est toujours plaisant de voir de nouvelles propositions et Swallow ne déroge pas à cette règle, heureusement. Là où il aurait pu être un thriller version course-poursuite entre les deux protagonistes principaux comme nous en avons déjà vu, il se mue en film hybride qui réuni impression d’urgence relative et drame contenu. Et ça marche, l’angoisse vient lentement mais ne nous quitte jamais. Elle se niche au creux du ventre alors que l’on regarde avec impuissance Hunter avaler, avaler et encore avaler tout ce qu’elle peut trouver peu importe le danger qui en découle, comme si ça et seulement ça pouvait lui assurer le contrôle de la dernière chose qu’elle possède encore : son corps. Pourtant rien ne vire à l’excès et, évite l’escalade infernale vers le trop. Nous suivons le parcours quasiment spirituel du personnage pour qui PICA n’est pas tant une maladie qui met son bébé et elle en danger, qu’une chrysalide qui lui permet de se trouver en tant que femme.

Tout est fait avec justesse et la direction photographique ne déroge pas à cela. Si l’ensemble du métrage baigne dans le naturel des tons et de la lumière on retrouve de manière récurrente une opposition flagrante entre les teintes chaudes et froides. Le rouge intervenant à la fois comme indicateur de danger et afin d’appuyer le pouvoir et la confiance qui habitent Hunter dans ces moments-là. Tandis que les camaïeux de bleus se diffusent dans l’ensemble du cadre dès lors qu’elle est ramenée à son statut de marionnette et à son emprisonnement. La maison, symbole physique de cette prison, est d’ailleurs un personnage à part entière contribuant à son malheur. Certes le lieu ressemble à un catalogue d’ameublement hors de prix mais c’est aussi en son sein que se développent les troubles d’Hunter. C’est en elle qu’on la retient prisonnière, lui laissant le mirage du contrôle à la couleur des coussins qu’elle peut choisir.

 

Poupée de cire, poupée de son

Connue du grand public en tant qu’égérie du parfum signature de la maison Chloé et comme personnage secondaire de productions hollywoodiennes Haley Bennett est la révélation de ce film. Être belle, on ne lui a trop souvent demandé que ça. Dans Swallow elle incarne avec brio ce rôle de femme-objet en quête d’identité. Les moindres rictus, ne serait-ce que le clignement d’un oeil, le tressautement d’une épaule ou le sourire qui vient tordre ses lèvres en une grimace figée sont scrutés par de très gros plans caméra ne laissant pas la place à l’erreur. Madame Bennett nous offre au travers du visage d’Hunter un livre ouvert de complexité et de mesure, tout est contrebalancé avec une maîtrise admirable. L’apparition des TOC (troubles obsessionnels compulsifs) et notamment la remise en place de ses cheveux dans un mouvement de main, à la fois stricte et fébrile, impressionne autant que le changement progressif de comportement qu’elle fait adopter au personnage principal au fur et à mesure de son évolution. Jouant strate par strate l’immense palette d’émotions l’habitant.

Swallow est une excellente façon de commencer cette nouvelle année cinématographique. Outre la découverte d’un réalisateur prometteur et d’une grande actrice, le film est surtout la preuve que la santé mentale est un sujet qui peut être traité avec bienveillance. Il est de ce genre de productions dont on ne savait pas la nécessité jusqu’à ce qu’on la voit. Swallow s’inscrit sans le moindre doute dans ce dont le cinéma a besoin : un questionnement sociétal et une approche juste de celui-ci, une façon de parler de sujets difficilement abordables comme les troubles mentaux, sans les utiliser comme un moyen de stigmatisation.

 

Lire aussi l’entretien avec le réalisateur Carlo Mirabella-Davis

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Durée : 95 mn


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