Pour son troisième long-métrage, Charles de Meaux surprend par un classicisme global qui fait de Stretch une illustration sage et linéaire de son thème : les malheurs d’un pauvre jockey s’exilant à Macao, nouvel éden chinois des courses, après avoir été contrôlé positif en France. On sent l’empathie et la connaissance personnelle du sujet par le réalisateur. Peut-être trop, tant on pouvait espérer face à une histoire relativement courrue d’avance – les ambitions du jeune premier confrontées à des sphères sur lesquelles il n’a pas de prises – un traitement, si ce n’est original, du moins plus personnel. Surtout connaissant la provenance et les premiers films du réalisateur (Shimkent Hotel et Le Pont du trieur coréalisé avec Philippe Parreno). Charles de Meaux est en effet le directeur d’Anna Sanders Films, société de production fondée en 1998 avec les artistes Pierre Huyghe et Philippe Parreno, qui produit, entre autres films d’artistes, Apitchapong Weerasethakul. Autant d’éléments à même d’attiser une curiosité qui, pour cette seule fois espérons-le, restera insatisfaite tant le réalisateur se montre prudent dans son approche.
La forme contre le fonds
Stretch, c’est un parcours, de l’ascension vertigineuse à la chute. Dans le jargon sportif, « stretch », c’est la ligne d’arrivée qui semble s’étirer, s’éloigner à mesure que la course avance, une ligne d’arrivée que le film se refuse à nous montrer. Dans une discipline dont le corollaire immédiat est le pari et l’attente du résultat, Stretch gomme ce résultat. Il ne le dissimule pas – le résultat se devine –, mais le moment même de son apparition (le franchissement de la ligne) est systématiquement coupé, retranché. Du montage, cette coupure contamine la forme même du film, et se révèle une force autant qu’une faiblesse. Une force car ces coupures nettes vont à l’encontre des attentes naturelles qu’on peut placer dans le film et le revitalisent. Une faiblesse tant le procédé n’est en fait que le reflet de l’adhésion totale au destin du personnage principal, pour qui la fin d’une course ne signifie pas la fin de sa course. Il n’y a guère que lors du finale que ce procédé déceptif portera ses fruits, au risque justement de frustrer le spectateur.

De façon quasi systématique, Stretch reprend de la vigueur dès qu’il cherche à donner forme à son scénario plutôt qu’à l’observer avec révérence, desservi qu’il est par l’interprétation geignarde de Nicolas Cazalé qui ressert son rôle de jeune premier torturé (et c’est un bien grand mot) de film en film. Les choix qui pourraient apparaître comme les plus artificiels sont ceux qui sauvent le film et viennent rappeler les qualités de son réalisateur. Le recourt à la voix off ou aux intertitres qui apparaissent sur fond de Macao nocturne font finalement plus pour l’avancée du récit que sa plate mise en image constamment rattrapée par de grosses ficelles narratives qui – si elles sont sans doute le reflet d’une réalité (en atteste l’apparition d’un vrai jockey, Cédric Segeon, dans son propre rôle) – ne sont définitivement pas le point fort de Charles de Meaux. Une séquence, relativement courte, où le récit bascule en voix off tel un souvenir déjà imprimé dans le présent, ne conserve que les corps, l’échange de regards et le mouvement. Elle vaut à elle seule bien plus que le gros du film où s’alternent courses de chevaux, machinations de gros mafieux et crises du petit jockey qui donnent l’impression de n’en pas finir et n’ont jamais réussi à susciter le moindre attachement. Stretch porte ainsi bien son nom.