Still Walking en DVD

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C’est sans doute son film le plus personnel. Un dimanche d’été. Une maison pleine d’ombres. Une famille jamais remise d’un deuil : Kore-Eda Hirokazu filme comme personne la profondeur derrière l’ordinaire. Le temps qui passe, surtout, derrière une apparente immuabilité. Délicat et fort.

D’abord il y a la maison, spacieuse quoique labyrinthique. Ancienne et tamisée d’ombres surtout, à chaque recoin. Et puis l’on découvre – vite – la cuisine, emblématique de cet espace familial apparemment douillet, immuable, alors qu’il se fissure de mille rancœurs. La pièce centrale du foyer, oui, mais d’un foyer… défait. Toujours, la caméra délicate et têtue de Kore-Eda Hirokazu y revient, à cette cuisine bruissante, odorante, puisque c’est là que la mère prépare le festin de cette journée d’été à Yokohama. Celle-là même où l’on commémore, depuis quinze ans, la mort tragique du frère aîné. Et puisque c’est là, tandis que la nourriture s’élabore, se partage, se transmet, que se nouent les silences, mais encore les ressentiments, la culpabilité, voire la confrontation.

Toute une gamme de sentiments en un seul cadre. Mouvant, émouvant. C’est là l’un des talents, faussement modeste puisqu’en fin de compte magistral, du réalisateur japonais Kore-Eda Hirokazu (auteur, notamment, du très fascinant Nobody knows). Un sens de la synthèse incomparable de retenue, que l’on retrouve dans le procédé – classique, il est vrai – qui structure Still Walking de toute façon : raconter en 24h (un dimanche ensoleillé mais profondément mélancolique) des vies entières. 

Dehors, il fait beau, chaud même. Dedans, la lumière a bien du mal à percer. Et dans ce jeu de va-et-vient, d’escapades furtives mais rarement réconfortantes (une ambulance qui vient chercher une voisine, une visite au cimetière), d’imperceptibles changements se mettent en place. Quand bien même rien ne semble avoir bougé dans la maison des parents, figés dans leur chagrin et leurs regrets. L’intelligence de ce film a priori très personnel, c’est d’avoir su choisir un fil rouge (le fossé émotionnel et l’irritation qui opposent le père au fils cadet, dès lors qu’il semble ne pas avoir répondu aux attentes de ses parents), tout en multipliant les points de vue (la sœur, la mère, les enfants, la belle-fille, etc). Du coup, Still Walking acquiert une ampleur, une force, voire une universalité incontestables. Et ce, tout en mouvement ! D’autant que le cinéaste n’occulte ni l’humour, ni la petitesse que peuvent receler parfois ces tensions. 

Ainsi, la scène très féroce avec le jeune homme que le frère aîné a sauvé de la noyade quinze ans auparavant. C’est à cause de lui, cet enfant devenu pataud, gras et suant, que le fils manquant, sacralisé par ses parents, est mort, finalement. Chaque année depuis, la mère, toute souriante et respectueuse des traditions, l’invite pour la commémoration de ce décès tragique, histoire de bien lui faire payer, derrière le rituel et les prières, le poids de sa faute, à lui l’inutile (et le raté, les dialogues comme les non-dits sont aussi cruels que savoureux). Encore une fois, en à peine quelques plans s’exhalent et s’installent une profondeur, une complexité qui, longtemps après, nous impressionnent. Et nous bouleversent, l’autre talent du cinéaste étant, on l’aura donc compris, de savoir révéler, toujours mine de rien, nombre d’abîmes derrière l’ordinaire… 

Que ce soit l’ordinaire d’une chanson (le titre de Still Walking vient des paroles d’une bluette japonaise), d’une conversation ou, bien sûr, d’une cuisine…

Bonus

Comme souvent, le bonus du DVD se résume au « making of » du film, le 6e en fait de Kore-Eda. Le monsieur n’étant pas un grand bavard en général, ce document de 28 minutes offre malgré tout la possibilité de l’entendre, entre deux lectures de scénario, un essayage de costumes et… un cours de cuisine sur le plateau. Où l’on comprend surtout que Still Walking n’est pas exactement un film « ordinaire » pour lui (ne serait-ce que par sa méthode de travail).

Editions Keep Case. Sortie le 21 Octobre 2009.

On peut relire ici la critique du film par Nicolas Debarle.
 

Titre original : Aruitemo, Aruitemo

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Durée : 115 mn


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