Sortie DVD << Tokyo ! >>

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Le principe du film à sketchs est rarement encourageant. Celui-ci, bâti autour de la mégapole japonaise, échappe pourtant au collage hétéroclite, en dépit de la disparité de ses auteurs. En guise de fil rouge : humour, absurde et fantastique…

Pourquoi eux ? On ne sait rien, spécifiquement, des raisons qui ont poussé les deux producteurs japonais Masa Sawada et Michiko Yoshitake à proposer aux Français Michel Gondry et Leos Carax et au Coréen Bong Joon-Ho de réaliser, chacun, un court métrage sur Tokyo. Rien, sinon qu’ils leur semblaient être « trois réalisateurs accomplis, dotés d’une sensibilité riche, fertile, si différente, leur permettant de capter l’esprit réel » de la mégapole japonaise. Un peu… générique et flou, tout ça !

Quid de leurs affinités éventuelles, voire de leurs liens souterrains, sinon avec la ville, en tout cas entre eux ? Questions suspicieuses, direz-vous, mais la longue histoire du film à sketches – collage souvent hétéroclite, inégal et prétexte – les suscitent forcément un peu. A priori. Confer récemment Paris je t’aime ou le plus ancien New-York stories.

Une vision simple de ce long-métrage en trois séquences – trois chapitres en somme – les éradique pourtant, a fortiori. Enfin, quasiment.

Gondry et son goût pour le bricolage décalé, burlesque, tendre. Carax et ses fulgurances intransigeantes, lyrico-maniaques. Bong Joon-Ho et son exploration mystérieuse, sidérante de l’opaque. Comment ces trois-là se trouvent-ils sans jamais se perdre, tout au long de cette symphonie en trois mouvements qu’est, finalement, Tokyo ! ? La réponse – la bonne – se trouve dans leurs images : surréelles à force d’être hyper urbaines, comme l’espace qu’elles donnent à voir, dévoré de solitude, de flottements, d’anéantissements. Même hors champ.

Flirtant sans arrêt, presque naturellement, avec l’absurde, le fantastique, ces trois réalisateurs pourtant « si différents » proposent du coup une vision voisine, sinon similaire, de cette capitale insondable puisque hypertrophiée, où tout semble apparaître et disparaître de façon inexpliquée. Les gens, les lieux, les paysages, les fantômes aussi. Absorbés. Forts de cette « lecture » commune – un juste point de vue, dans tous les sens du terme – ce film séduit, parvenant à trouver une identité singulière au bout du compte. Voire une unité, contre toute attente. On comprend mieux, dès lors, le point d’exclamation du titre : il sonne comme une forme de résistance, de conjuration, de lutte collective contre la dislocation annoncée…

En trois mouvements

Reste, naturellement, les différences, de styles et de tempos…

Premier mouvement : Gondry, « allegro ma non troppo ». Adaptant avec tact et malice la bande-dessinée de Gabrielle Bell, Cecil et Jordan in New York, Michel Gondry opte pour le ton de la balade qui, peu à peu, bascule dans l’égarement, puis l’effacement. Un couple tente de s’installer à Tokyo, la jeune femme ne parvient pas à s’adapter, elle fait l’objet d’une étrange transformation : en « chosifiant » les êtres, in fine, le réalisateur de «La science des rêves » n’est pas nécessairement pessimiste, ni virulent. Il dit simplement, à sa façon « mélancomique », retrouvant là l’une de ses thématiques récurrentes, qu’il n’est pas forcément facile, ni utile, de se fondre dans le monde des adultes. Son court métrage, faussement flâneur et léger, s’échappe gracieusement dans l’imaginaire et touche durablement.

Second mouvement : Carax, « crescendo », voire « furioso » ! C’est le plus radical des trois, comme si de n’avoir rien réalisé depuis 1999 et Pola X donnait à cette comète du cinéma français des années 80 qu’est Leos Carax une rage décuplée. Merde, puisque c’est le titre éloquent de son court métrage, met en scène une créature surgie des égouts qui sème la panique et la mort dans les rues de Tokyo, avant d’être arrêtée puis jugée… Une sorte de Godzilla miniature, pas forcément plus infecte que la société qu’il terrorise, celle-là même qui va s’empresser de l’annihiler, histoire de ne pas se remettre en question. La métaphore est connue, mais la prestation de Denis Lavant – jamais dans l’outrance, plus attachant qu’inquiétant – l’invention ubuesque de la langue de Merde, les situations souvent drôles, et la maîtrise évidente (et joueuse, si, si…) de Carax à la mise en scène donnent à cette petite bombe (bombinette) une force réjouissante. Par les temps qui courent, le mauvais esprit a souvent du talent.

Troisième mouvement : Bong Joon-Ho, « largo ». Entendez majestueux. Le destin de cet hikikomori, homme qui s’isole volontairement du monde, bouleversé par une rencontre avec une jolie livreuse de pizza, est idéal de lenteur et de douceur tristes. Comme l’éveil inespéré, un rien méfiant quand même, à l’amour. Ce troisième chapitre clôt donc l’ensemble, complémentaire plutôt que disparate, sur une promesse. Assez romantique. Et c’est plutôt bien vu. A tout point de vue.

Car certes, Tokyo ! n’est pas un grand film, mais c’est un exercice de style pertinent, joliment déroutant, nanti de moments passionnants. Une manière d’affirmer sa confiance en l’avenir du 7e art, malgré tout. Plutôt qu’une symphonie, une fugue au fond. Au pays du vrai bon cinéma.

Bonus

Susceptibilités (?) obligent, les bonus sont d’une équité imparable. D’abord, le making of de chacun des trois courts métrages (30 minutes), puis l’entretien individualisé, de 8 minutes chaque fois, avec les réalisateurs. On en retient assez peu de choses, si ce n’est l’implication littérale de Gondry au moment du tournage (il délaisse son équipe habituelle pour une team entièrement japonaise, délices et étrangeté d’une traduction forcément simultanée). Ou le plaisir reconnaissant de Carax d’avoir retrouvé son vieux complice Denis Lavant après de longues années (hommage également à Jean-François Balmer, l’autre comédien épatant d’étrangeté de son court). Carax qui, soit dit en passant, ressemble en vieillissant à un mix improbable entre Houellebecq et Godard (notamment dans son phrasé). C’est dire s’il est content.

A lire également sur Il était une fois le cinéma : la critique de Tokyo! de David Leconte

Titre original : Tokyo!

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