Ainsi, on aurait pu se retrouver devant une sorte de remake du Fleuve (1951) de Jean Renoir. Il n’en est rien, même si Michel Spinosa s’est donné les moyens de ne travailler exclusivement qu’avec une équipe indienne, de mettre ses acteurs français en difficulté et de tenter de s’approcher au plus près pour observer comment la folie et la possession par les « peys » (sorte d’esprits qui pénètrent les corps et les âmes) sont traités en Inde et, notamment, dans ce grand centre religieux où les possédés sont attachés par un pied près des arbres, des statues de divers saints (même catholiques) ou des autels en attendant qu’ils guérissent ou que le pey s’en aille. Gracie est traitée de cette manière et la comédienne qui l’incarne est saisissante de réalisme.
Pour ce faire, le réalisateur a vécu au préalable durant de nombreuses semaines en Inde, a pris des notes, a fait des repérages. Pour l’écriture du scénario, il s’est adjoint les services d’Agnès de Sacy, réputée pour sa manière de structurer ses histoires. On se demande ce qui cloche pourtant dans ce film, peut-être trop long, trop narratif, trop encombré en fait de sous-histoires et d’anecdotes inutiles. On dirait que le réalisateur hésite entre fiction et documentaire, et c’est ni l’un, ni l’autre qui l’emporte. C’est peut-être cette hésitation qui donne naissance à un objet hybride, parfois pas dépourvu de charme et quelquefois agaçant. La partie indienne ressemble parfois à un guide de voyage pour initiés qui s’extasient sur l’attrait hypnotisant de l’Inde et de ses mystères… Quant à la courte partie se situant à Paris, elle donne aussi dans la caricature avec ses problèmes de drogue, de couple qui se déchire et d’états d’âme existentiels de gens pourtant nantis. Et le choc culturel entre les deux cultures ne se fera pas, même si Joseph, l’égoïste, finira par s’ouvrir un peu plus au monde au contact de Gracie notamment, acceptera de devenir un tout peu plus compassionnel. On le savait jusqu’à présent vétérinaire pour la SPA, mais à la fin du film le réalisateur nous permettra de le voir enfin à l’œuvre lorsqu’il se prend d’affection pour un chien errant en Inde. Cet animal à forte connotation mythique dans ce pays, incarne ici, avec le jeune homme, l’Inde éternelle, qui se donne et aide les gens à changer. C’est du moins ce qui se passe dans Le Fleuve, mais aussi c’est ce que cherchaient certains hippies dans les années 70, ainsi que nous le montre le film d’André Cayatte, Les chemins de Katmandou (1969) dans lequel jouent d’ailleurs Jane Birkin et Serge Gainsbourg, les parents de Charlotte. La parenthèse enchantée s’est refermée et rouverte en Inde, nouvel Eldorado de la vraie vie…