Sherlock Holmes – Jeu d’Ombres

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Même équipe et même relecture postmoderne des mêmes enjeux et des mêmes personnages. En résulte un film qui émule strictement les mêmes traits de caractère que son prédécesseur, qualités comme défauts.

Des attentats apparemment sans lien, peut-être politiques, créent un climat de défiance en Europe qui pourrait bien mener à une guerre mondiale. On accuse notamment les anarchistes, mais Sherlock Holmes, lui, subodore que le brillant professeur Moriarty perpètre des meurtres ciblés d’hommes influents, qu’il cache habilement derrière ces exactions, dans un but mystérieux. Il mène donc son enquête, qui lui permet incidemment de subtiliser un peu plus longtemps Watson à sa toute fraiche épousée. Pour son usage personnel.

La question « que dire de Sherlock Holmes 2 ? » revient dans une grande mesure à en poser une autre : « que dire au juste d’un film de Guy Ritchie ? » Hélas, toujours pas grand-chose. Grand chantre d’une certaine esbroufe à la cool, celle qui habille son je-m’en-foutisme des oripeaux d’un iconoclasme à la mode, le garçon fait inlassablement le même film depuis Arnaques, crimes et botanique . Passé l’effet – relatif – de surprise de sa première lecture de Sherlock Holmes, les composantes du cinéma de Ritchie remontent à la surface du brouet coloré qu’il a à nouveau mijoté : facture technique plaisante, vitesse d’obturation rapide pour donner un sentiment de précision du découpage, scripts fonctionnels à défaut d’être réellement bien écrits (les déroulés temporels sont souvent confus, l’intensité dramatique retombe invariablement dans les climax, les séquences s’annulent les unes les autres), esprit festif claironné par la musique et des dialogues se voulant plein d’ironie, bons acteurs jouant avec morgue des personnages unidimensionnels de vaudeville, implication émotionnelle nulle.

Sherlock premier du nom, dans cette configuration, montrait toutefois un vrai saut qualitatif dans la filmo du loustic : pour la première fois, on avait devant les yeux un film de Guy Ritchie qui supporte une deuxième vision. Pour peu qu’on oublie un peu Peter Cushing, les aventures de Holmes et Watson (respectivement Kirk Lazarus et Gigolo Joe) ne manquent pas d’agrément, à défaut de faire avancer le propos. En trahissant la lettre, Ritchie retrouvait une part de l’esprit des romans de Conan Doyle, cet aspect serial à la Chéri Bibi qui est aussi l’apanage d’un auteur qu’on avait trop légèrement enfermé dans la respectabilité guindée. Grossir le trait pour refaire du détective un Indiana Jones victorien, après tout pourquoi pas ? Le tout fonctionnait en tous cas très bien, se suivait avec plaisir bien que l’aspect aventureux l’emporte largement sur l’attraction principale chez Holmes, à savoir la logique de l’enquête. Celle-ci rebondissait avec trop de vélocité et dans des trajectoires trop suspectes pour être vraiment concluante. Ceci dit, Ritchie contournait efficacement ses démons avec roublardise (voir les séquences d’action, expéditives, anticipées par Holmes au ralenti et en voix off pour rester lisibles ; soit du surdécoupage compensé par de la radio filmée), mais ne les combattait pas pour autant. Et la lecture très crypto-gay du couple Holmes/Watson, se chamaillant sur des chiffons, se faisant des crises de jalousie quant à leur rupture et la garde du chien, se lançant des insultes féminisées parmi d’autres croquignoleries et regards lourds de sens, n’était pas le moindre de ces démons (la filmo de Ritchie est à ce propos une véritable orgie de corps masculins mi-nus et en sueur, côtoyant des moqueries à la limite de l’homophobie beaufarde tendance Grosses Têtes)…

Vendu, comme d’habitude, comme une suite louder and bigger (bizarrement, les discours promo ne brandissent que très rarement un éventuel better), ce Jeu d’Ombres reprend le flambeau, en plus gros donc. Le commentaire n’en sera que plus succinct. On considèrera la mise en scène d’abord, plus clinquante, pour le meilleur (bien belle direction artistique, cadres plus rigoureux qu’auparavant, découpage plus fluide) et le pire (ralentis ostentatoires voire parfaitement foutraques comme la fuite dans la forêt, montage séquentiel monotone alternant arrivée dans un lieu/énigme/action pétaradante/départ vers le lieu suivant). L’écriture ensuite, qui peu passer pour virtuose dans ses mots d’esprits (certains dialogues sonnent très agréablement) mais complique inutilement sa narration par des circonvolutions artificielles. A ce titre, le désir un peu trop ardent d’arriver à certaines « belles scènes » (la partie d’échecs, la rencontre de Ravache, l’attaque du train, le bureau de Moriarty) imprime des torsions si fortes et contre-nature au récit que celui-ci ne soutient plus un examen un peu poussé. Cette histoire eut-elle été un pont qu’elle n’aurait pas été avalisée par les commissions de sécurité… En guise de paravent, un torrent de musique et de pyrotechnie noie ce capharnaüm avec un enthousiasme certes communicatif, mais tout de même assez vain. Ce qui mène à un dernier point, la caractérisation et par extension la notion d’enjeu, paradoxale dans sa collusion de grandiloquence et de dilettantisme.

Car d’un côté on nous fait les gros yeux bien régulièrement pour nous rappeler qu’attention, c’est la guerre mondiale au coin d’la rue mon petit, t’es dans une histoire sérieuse, c’est bien qu’on est dans du drame de douze s’il y a des attentats tous les quarts d’heure. Tout cela est bel et bon, mais à aucun moment on ne ressent de réelle urgence, de véritable danger, ou simplement l’importance des virtualités du récit, quelques gros que soient les canons en lice. La faute au détachement systématique de Ritchie, qui annule avec obstination l’enjeu dramatique de chaque séquence dans la suivante, et préfère nettement nous faire ricaner d’un air complice devant le wagon de coming out (de moins en moins) masqués entre Holmes et Watson… A aucun moment un personnage ne gagne le droit à sortir du statut de stricte fonction (mention spéciale à la pauvre Noomi « je sers juste de taxi gitan » Rapace), voire de simple bouche-trous de zapping thématique (Stephen Fry qui s’ajoute à la collec de messieurs tout nus de Guy). Moriarty en fait les plus gros frais, juste à côté de madame Watson qui ne sert plus que d’aiguillon à la seule relation amoureuse de la saga. Reste Holmes, de plus en plus n’impeux : de génie bagarreur doté de mémoire eidétique, il devient carrément une sorte de superhéros dont les facultés d’anticipation confinent soit à la divination, soit à la télépathie pure et simple (le « dialogue » avec Moriarty au soir du troisième acte), et aux aptitudes physiques si capillotractées que le spectateur a le choix entre rester interdit (et donc hermétique, ce qui s’accorde à l’esprit général où même la mort d’un personnage capital ne fait pas plus d’effet qu’une contrariété passagère) ou s’amuser sans se poser la moindre question.

Ritchie à en effet, au moins, le mérite d’avoir remis le fun au centre des divertissements d’actions, qui se prenaient beaucoup au sérieux ces dernières années. Mais ce qui fait le charme de son dernier ouvrage, à savoir l’affectation d’esprit, d’aisance et de détachement crânement mais agréablement assénés, marque aussi la limite, indépassable, de son projet. Un peu comme Lord Henry Woton, le dandy charmant et spirituel du Portrait de Dorian Gray, dont les bons mots et la décontraction lui assurent beaucoup de succès dans la bonne société, mais ne parviennent pas à cacher son aspect creux, vain, et finalement irritant et mortifère. Sinon, au rayon modernisation du détective, Steven Moffat fabrique en ce moment même une excellente série (qui en est à sa saison 2). Et si l’on est manque de Downey sapé en drag, le tumblr PinupRDJ est tout aussi amusant…

Titre original : Sherlock Holmes: A Game of Shadows

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Durée : 127 mn


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