Séries en force et force(s) des séries

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Alors qu´une série devenue culte envahit aujourd´hui les salles obscures -j´ai nommé Sex & the City-, petit retour sur quelques séries adulées qui n´ont parfois rien, ou presque, à envier au grand écran.

Ally McBeal

Ally nous ouvre grand les portes de son cabinet, enfin de celui où elle travaille, et par là-même celles de son univers peu banal.
Avocate, elle plaide régulièrement des affaires hors du commun. Un vieil homme qui souhaite récupérer son job de Père Noël car il pense vraiment être LE Père Noël. Un homme qui désire épouser deux femmes. Une femme qui veut vivre maritalement avec deux hommes. Un pdg en voie d’être déclaré inapte à la suite d’un accident l’ayant laissé dans un état de bonheur constant…

Mais Ally McBeal ne se résume pas uniquement à des histoires de Cour. Les histoires de bureau sont tout aussi nombreuses, si ce n’est plus…Les personnages, plus originaux les uns que les autres, se succèdent, Ally et John en tête. Elle, elle court autant après ses hallucinations qu’après l’homme de sa vie, mais motivations scénaristiques et idéaux féministes propres au personnage montrent qu’elle vit très bien, ou presque, sans. Quant à lui, John, dit « le biscuit », c’est le nez qui siffle, les chaussures qui couinent, le bégaiement, un côté un peu loufdingue comme dirait Ling, qui font de lui une vraie star au tribunal.
Les autres personnages de la série ne sont pas en reste pour autant. Richard ne vit que pour l’argent et le fanon de Whipper. Elaine, secrétaire d’Ally, traine une réputation de fille facile alors que Nelle, belle blonde de la boîte, a plutôt l’allure d’un glaçon. Ling tient Richard par le bout du doigt, Georgia cherche sa place et Renée, colocataire d’Ally, joue l’amie plantureuse, soutien émotionnel de notre héroïne. N’oublions pas le fameux Billy, grand amour d’Ally, mais malheureusement pour elle –et heureusement pour nous- marié à la belle Georgia.

Tout ce petit monde vit en vase clos ou presque, laissant juste une petite fenêtre ouverte pour nous, téléspectateurs. Les scènes loufoques se suivent, laissant place parfois à quelques moments romantiques, voire même dramatiques.
Ally McBeal, dans l’esprit de Sex & the City, nous parle de la femme moderne, de celle qui veut réussir sur tous les tableaux, aussi bien sur le plan professionnel qu’émotionnel, amoureux que sexuel. Moins « trash » et percutant que ses quatre copines new-yorkaises, Ally, alias Madame Indiana Jones, reste tout de même l’image d’une femme indépendante, clamant sur les toits, certes, qu’elle veut un homme. Après tout, pourquoi pas ? Cela n’en fait pas moins une femme forte, non ?

Californication

A tous ceux qui avaient enterré la carrière de David Duchovny avec la fin de X-files, Californication répond simplement : pas si vite ! L’acteur fait son grand retour dans la peau d’un quadragénaire dépressif à la franchise débridée.

Hank Moody. Profession : écrivain. Particularité(s) : sex and drugs addicted ! Après la sortie de son premier livre, best-seller, l’écrivain new-yorkais est en mal d’inspiration. Il s’installe à Los Angeles, ville à laquelle il peine à s’acclimater. Séparé, père d’une fille de 13 ans, amoureux fou de son ex-femme sur le point de se marier, Hank affiche un air paumé, jubilatoire. Sur un rythme bien emmené, les scènes érotico-trash (pour ne pas dire pornographiques) s’enchaînent à la vitesse des répliques qu’il balance.

En héros désenchanté, qui noie son mal-être dans l’hédonisme, David Duchovny détonne. Même si la série ne propose rien de véritablement innovant, le ton décalé et la performance de l’acteur principal valent le détour. Sans oublier les seconds rôles dans la même veine, notamment Charlie (époux de Charlotte dans Sex & the city), son manager légèrement vicieux, et sa fille, Becca, aussi directe que son père Hank. Avec Californication, Tom Kapinos, son créateur, déverrouille crûment certes, mais sûrement, les tabous. Les personnages de Californication sont perdus dans un monde qu’ils détestent. Derrière l’exhibition sexuelle se cache un scepticisme religieux évident. La scène où Hank rêve d’une fellation… faite par une nonne, ou encore le titre de son succès littéraire : « Dieu nous hait tous », sont sans équivoque.
La corrosion opère ainsi à merveille, même si les rôles mériteraient de gagner encore en profondeur.

Damages

Il y a quelques années, Damages n’aurait été qu’un rêve. Ou une illusion. Soyons honnêtes : avant Sex & the city et consoeurs, la femme était souvent Madame, parfois maîtresse, mais jamais un féminin dissocié du masculin. Elle, elle était toujours par rapport à lui. Voilà pourquoi Damages n’aurait pu voir le jour. Parce que Damages, qu’on se le dise, est un thriller politique mené d’une main de fer par des dames.

Bien-sûr, on ne peut se passer de ces messieurs (sauf dans The L-Word!). Dans leur grande bonté, les scénaristes ont donc eu la gentillesse de leur donner des rôles. Mais entre l’homme d’affaires lâche et craintif, l’avocat homosexuel refoulé, l’assistant esclave et le petit ami laissé pour compte, aucun n’a un rôle bien reluisant. Surtout que la plupart finissent en guise de repas pour vers de terre avant même la fin de la saison! Les messieurs ne supportent pas la pression, dirait-on…

Il faut dire qu’en face, c’est le règne de la mante religieuse. Patty Hewes (Glenn Glose), élégante, le teint toujours frais et le brushing impeccable, dirige avec autorité le cabinet d’avocats qui porte son nom (voyons… personne n’est à la hauteur pour associer son nom à celui de la magistrale Hewes). Elle manipule sans vergogne (même et surtout sa jeune protégée Ellen Parsons -Rose Byrne-, tout juste diplômée et assez malléable au premier abord), et fait de Machiavel son meilleur ami.

Cette première saison (diffusée sur Canal+ en mars de cette année) se pare de rebondissements inattendus, qui mettent les nerfs à vif. Thriller palpitant qui manie avec grâce l’art de la narration (11 épisodes sur le milieu juridique, dans lesquels on ne voit pas l’ombre d’un tribunal), Damages développe un style percutant et cinglant. C’est nouveau, c’est beau… vivement la suite!

Dexter

Outre le fait d’offrir à l’excellent Michael C. Hall (qui incarna avec tant de subtilité David, le fils Fisher accessoirement gay dans Six feet under – emploi magnifique qui aurait cependant pu lui coller à la peau) un rôle à sa démesure, Dexter, série phare de la chaine Showtime (qui semble, avec entre autres des séries comme Weeds, succéder brillamment à l’ex-leader HBO dans la course à l’audace), est aussi et surtout le terrain d’une étrange expérimentation.

Suivre un serial-killer dans les méandres de sa psyché claire-obscure (respectable hématologue pour la police de Miami le jour ; justicier sanguinaire la nuit) a ceci de troublant qu’à aucun instant n’est demandé au téléspectateur de s’identifier au personnage. La voix off de Dexter narre la circulation de ses raisonnements d’individu hermétique à tout affect, mais ne requiert au final aucune « compréhension » ou excuse plus ou moins psychologique des actes. Certes les leçons de son père flic aujourd’hui décédé (réguliers flashs-back sur son enfance) ne manquent pas de soulever quelques théories, mais il apparaît très tôt que celles-ci relèvent avant tout de l’hypothèse amusée (et surtout très distanciée) d’élucidation.

 Le plus troublant (le plus passionnant) de Dexter repose peut-être davantage encore sur le jeu du chat et de la souris qui s’instaure entre le « héros » et ses adversaires directs (un serial-killer conscient de ses exactions met en place un jeu de piste meurtrier en sa seule direction) et indirects (soupçons de ses collègues et supérieurs quant à ses mœurs, à la vue de sa mystérieuse fascination pour le sang). Cette série est comme le signe, après les Experts (avec plus d’originalité et de profondeur), d’un souci actuel de la série « de genre » américaine d’aborder la question du crime et de son élucidation au-delà de la classique enquête, par le biais d’une approche méthodique de la matière même du crime (sang, empreintes, tissus…). Une vraie leçon de style pour tous les thrillers aseptisés tendance Cleaner, proliférant aujourd’hui sur le grand écran.

Oz

A côté, les personnages de Prison Break passent clairement pour des anges superficiels. Le réalisme perturbant d’Oz efface toute idée préconçue sur l’univers pénitencier. A Oswald, et plus particulièrement à Emerald City , un centre expérimental de haute sécurité créé par l’utopiste Tim Mac Manus, les plus dangereux prisonniers apprennent à vivre ensemble, en autogestion durant la journée. En faisant cohabiter des hommes issus de milieux sociaux, cultures et âges différents, Tim Mac Manus attend des détenus un changement progressif. Entre les groupes, les tensions naissent inévitablement. Nazis, musulmans, homosexuels… s’affrontent pour la reconnaissance, le pouvoir ou encore la survie.

Le microcosme « Em City » métaphorise la société et ses questions. Abandonnés dans un univers désenchanté et violent, les hommes restent confrontés à eux-mêmes, en quête de foi et de loi. Peut-on survivre ensemble dans un monde de non sens ? La série ose la question. Avec un concept scénaristique original et un réalisme à fleur de peau, Oz impose le détour.

Sex & the City

Entre 1998 et 2004, quatre filles surent redonner au concept même de « fiction féminine » tout son éclat. La trentaine célibataire, sexuellement actives, Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda reflétèrent comme la fascinante et parfois inquiétante aptitude des femmes à faire de leurs obsessions et déceptions quotidiennes la matière de toute une histoire, une forme de chronique arty du quotidien.

Durant six saisons d’excellente tenue et en progression constante, Darren Star, le concepteur de la série, sut faire naviguer ses personnages avec classe dans les eaux troubles des mœurs new-yorkaises. Hommes et femmes de Manhattan se sont vus scrutés sous toutes les coutures, entre vulgarité et élégance pop, sans que jamais ne soit apparue l’once d’un cynisme, d’une moindre condescendance quant à cette faune hyperactive.

Tout l’art de HBO, des années 90 finissantes au milieu de nos années 2000, fut de proposer aux téléspectateurs, par le biais de fictions au raz du quotidien, entre dépression hallucinée (Six Feet Under, Les Soprano…) et exaltation flashy (Sex & the City…) la possibilité d’une correspondance inédite, d’une proximité nouvelle avec des personnages en quête de leur provisoire stabilité. Accepter de vivre avec la Mort, assumer son statut de parrain avec les conséquences physiques et psychologiques que cela induit, s’adapter à son animalité galopante (Oz et ses prisons torrides)… écrire ses amours pour mieux décrypter son Amour (le seul et unique Mr Big).

Telles sont aujourd’hui encore les quelques leçons à retenir d’aventures télévisuelles qui furent de formidables parcours du combattant, des jeux de piste dont hélas les successeurs directs ne tiennent souvent leurs promesses qu’à court terme. En outre, Sex & the city a ceci de très singulier que son culte naquit de l’alliage passionnant d’une tradition classique directement inspirée des grandes comédies du remariage de l’âge d’or (quelque chose de Mc Carey, Hawks ou Minnelli dans les couleurs, les ambiances… le geste) et de la culture zapping post MTV (passer d’une aventure à une autre en un raccord ou une simple ellipse). Le pari du cinéma (le film sort aujourd’hui en salles) est ainsi d’autant plus intéressant qu’il révèlera sans appel la possibilité (ou non) de faire de cette hybridation si fine et novatrice sur le petit écran le moteur d’un solide récit au long cours.

Six feet under

Famille aussi déjantée qu’émouvante, les Fisher ont laissé une trace indélébile dans l’univers sériel. Difficile d’inviter la mort à chaque épisode, cinq saisons durant, sans tomber dans le morbide ou le mélodrame. C’est pourtant ce qu’a fait Alan Ball, le créateur de Six feet under. Avec sa caméra intimiste, une lumière aussi pure qu’acide, et des épisodes commençant tous par une mort, la série aurait pu se limiter à une atmosphère. Ce serait sans compter sur son essence : son scénario. Dans une approche chorale, particulièrement juste, chaque personnage est porteur d’une bribe philosophique sur la vie.

Le décès soudain de Nathaniel Fisher, père de famille et embaumeur, précipite ses proches dans un désenchantement violent. Ruth, son épouse docile et leurs trois enfants, Nate, idéaliste déchu, David, homosexuel introverti, et Claire, adolescente cynique, se retrouvent face à face, dans un mutisme émotionnel. La mort avait toujours hanté leur foyer, jamais au point d’obnubiler leurs âmes. L’angoisse de vivre et la peur de mourir, exhument froidement les non-dits. Du décès d’un nouveau-né à la fausse couche d’une future mariée, d’un coming out difficile à une homoparentalité heureuse, ou encore d’un amour incestueux à un rejet de la fidélité, la série ne ménage personne, et bouleverse chacun.

A l’heure où certaines séries se voient portées sur grand écran, Six feet under en est une qui a depuis longtemps fait fusionner petit écran et cinéma.

Voir également l’article Coffret Six Feet Under : l’intégrale

  The L Word

Après la série gay Queer as Folk, la chaîne câblée américaine Showtime lance en 2004 The L Word, la première série consacrée à des héroïnes lesbiennes. Programme créé par Ilene Chaiken dans l’optique de briser tabous et stéréotypes sur l’homosexualité féminine, Le mot « L » (sa traduction) n’a pas été élu titre par hasard. Aux Etats-Unis, il arrive qu’un mot « dérangeant » ne soit évoqué que par son initiale, comme c’est le cas pour le mot « lesbian ». Le « L » de la série sert, lui, de fil conducteur à une intrigue presque exclusivement lesbienne et articulée autour de l’amour (« Love »). Chaque épisode est ainsi baptisé par un mot commençant par « L ».

Lesbiennes oui, mais féminines aussi ! Alors que le stéréotype de l’homosexuelle se résume souvent à la figure de la camionneuse bourrine version Gazon Maudit, The L Word se compose, à l’opposé, de personnages principalement « lipstick », c’est-à-dire ultra féminins et parfaitement indépendants à la fois. Lorsque Jenny emménage à Los Angeles chez son futur époux Tim, elle est vite fascinée par le microcosme lesbien qui vit près de chez elle. Ecrivain prometteuse, elle traduit artistiquement le trouble qui s’installe en elle. Jenny est un véritable pont entre la part hétérosexuelle du public et l’univers lesbien de la série. Son personnage, conjugué à la féminité et aux problèmes universels des héroïnes, facilite la complicité avec la série.

The L Word s’appréhende donc comme l’opportunité d’une visibilité médiatique lesbienne longtemps recherchée. Si elle a permis d’atténuer le stéréotype de la lesbienne « butch » (virile), ses héroïnes ultra féminines confondent encore sexe et genre, femmes et féminité.

The Shield

Los Angeles. Années 2000… Un gang sans scrupule sévit chaque jour dans les rues. Ce gang, c’est la Strike Team. Leur QG? Un commissariat de quartier. Vic McKey (Michael Chiklis… si si… celui des 4 Fantastiques…) et ses comparses ont des méthodes bien personnelles et peu habituelles pour maintenir l’ordre. Mais voilà : aussi violentes, aussi intimidantes soient-elles, ces petites recettes maison font leurs preuves. Difficile dès lors de coincer ces policiers-ripoux.

Au fil des six saisons de cette série magistralement réalisée, le comportement discutable de la Strike Team est remis en question par des guests aussi célèbres qu’impuissants (Glenn Glose et Forest Whitaker en tête, respectivement dans la saison 4 et dans les saisons 5 et 6). Cependant, c’est sans doute là que réside toute l’intelligence de The Shield. La mise en scène joue avec les limites du visible en suggérant avec malice le pire. Violent, cela l’est souvent. Insoutenable, cela l’est parfois. Jamais cependant la série ne tombe dans l’effusion gratuite d’hémoglobine. Tout un art !

Et puis il y a Vic McKey. Ce policier aux allures de Monsieur Propre, ambigu chef de la Strike Team, est un personnage principal qui n’envahit pas le cadre. Malgré son importance dans le récit et le caractère fort et complexe dont les scénaristes l’ont paré, son omniprésence ne se fait pas au détriment des autres protagonistes. Chaque membre de son équipe et du commissariat profite d’un traitement narratif unique, qui le rend indispensable. La diversité crée la richesse, chaque plan est un tableau qui rend hommage à la tolérance.

Une série sans faux pas ni faux semblants. Une réalisation digne des meilleurs longs métrages de cinéma. Une septième saison (la dernière?) en post-production… Sans égaler la perfection de The Sopranos, The Shield est une série policière qui tient toutes ses promesses.

  The Sopranos

Dès le générique, on comprend l’essentiel : l’extase et l’agonie seront au rendez-vous. Créée par David Chase, ténor des dialogues, des constructions narratives, d’une histoire en somme, The Sopranos est devenue l’une des séries les plus importantes depuis la création de la petite lucarne. En 6 saisons, Tony et sa bande de mafieux, sa famille délirante, son psy et son harem cosmopolite vont embellir le petit écran, quitte à l’assommer définitivement. Loin, très loin du cinéma scorsesien, proche de Coppola pour la lenteur des gestes, The Sopranos tire sa force de cette persévérance très US, qui consiste à démolir les intérieurs sombres de la vie. Chase l’a très vite assimilé et en a concocté une variété de belles gueules qui tous eurent leur part de gâteau.

En 1969, quelques mois après les Beatles, Joe Cocker, le lion de Sheffield, hurlait dans un micro mouillé ces quelques mots qui firent date : « With a little help from my friends ». Des décennies plus tard, ce big boss parano et violent prénommé Tony, continue de clamer cette petite devise sans pour autant l’étaler devant tout le monde. Tony, héros machiavélique, plus amoureux des animaux que de la race humaine, aberrant père de famille, amant irrégulier et PDG implacable d’une entreprise mafioso, ne peut aspirer au calme, ne peut prétendre pouvoir s’empiffrer d’un bon steak sans avoir cette épée de Damoclès sous son crâne de cristal et surtout ne peut se créer un confident sous peine de mort. A ce moment-là, le psy entre en scène.

The Sopranos reprend son souffle chaque fois que Tony consulte sa psy, belle brune quinquagénaire, dont l’innocence sera très vite dispersée. Chase a cette idée géniale de présenter les faiblesses de l’ours mal léché, et de lui donner comme libre arbitre une femme à l’intelligence exquise, qui ira même jusqu’à lui donner quelques conseils de gestion de son équipe, qui lui soufflera quelques idées d’action et lui annoncera quelques vérités qui dérangent.

Outre un scénario en béton, des dialogues ciselés et une construction propre au cinéma, une forme de lyrisme existe, qui accompagne quelques épisodes et les rend chatoyants. Parmi les nombreuses séquences, difficile d’oublier celle où Tony caresse son meilleur ami blessé, un foudroyant étalon, un cheval beau comme l’Eden. Tandis que Dean Martin chante My rifle, my pony and me, la vie se forme au sein de la grange brûlée. De la paille, une biche, une vision nocturne et un cheval qui va bientôt rendre l’âme. Et au beau milieu de ce tournis biblique, un homme meurtri.

  The wire

Grande série méconnue en France, The Wire (Sur écoute), uniquement diffusée ici sur Canal Jimmy, brilla au fil de ses cinq magnifiques saisons (arrêtées cette année), par sa fascinante constance de ton. Quoi de moins exaltant, à priori, que de suivre un groupe de flics attendant (avec déceptions et frustrations souvent) le pas de côté nécessaire au démantèlement durable du crime organisé dans les ghettos de Baltimore ?

C’est pourtant de cette permanente mesure, de cette sobriété anti-spectaculaire, que naquit progressivement le mythe de cette série. Suivant le pas lent du classieux détective Mc Nulty, tout reste ici à l’état de veille, ou plutôt de « demi-éveil », les guetteurs étant sans cesse défiés dans leur résistance par la fine dilution du crime dans les très larges mailles du filet social et politique américain.

Davantage qu’une série policière de plus et de moins, The Wire fut surtout pour HBO l’occasion d’assumer de manière peut-être plus frontale et précise encore, que dans, par exemple, Oz (autre géant du genre), sa recherche profonde d’une véritable correspondance entre la fiction et le réel. Tout dans le réalisme, le vérifiable, le documenté. La popularité de la série auprès des milieux défavorisés représentés avec noblesse (les Noirs, les Latinos… les laissés pour compte du froid système capitaliste) ne se fit pas attendre, et devint même symptomatique des attentes très actuelles de reconnaissance de la part de certaines couches de la société.

Peut-être est-ce au final The Wire, davantage que Fahrenheit 9/11, qui sut être le plus révélateur de l’esprit des Etats-Unis en pleine ère Bush. Une chose est en tout cas certaine : par son refus de céder l’ancrage, l’inflexible exigence d’un bon regard sur le statu quo au seul (et bien sûr estimable) prestige du divertissement, David Simon marqua l’actuelle décennie d’une trace indélébile, et installa une fiction à la hauteur du plus pertinent documentaire.


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