Sélection naturelle

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Quel monde à Cannes ?

Quelques jours après la clôture de la 65ème édition du Festival de Cannes qui a vu Michael Haneke avec Amour s’en aller pour la deuxième fois avec la Palme d’or, si on peut s’interroger sur le palmarès sans surprise de Nanni Moretti, il serait également intéressant de faire un tour d’horizon de l’ensemble des films en compétition officielle et de parler chiffres : David Cronenberg en était à sa quatrième sélection ; Michael Haneke sixième ; Ken Loach onzième ; Abbas Kiarostami cinquième. Il manquait les frères Dardenne, Pedro Almodovar, les frères Coen et quelques autres, mais sinon, quasiment toute la famille avait fait le déplacement. Lars Von Trier a mis les pieds sur la table l’année dernière et ne sera plus invité alors que Takeshi Kitano, bien que s’amusant à creuser sa tombe film après film, le sera sans doute jusqu’à son dernier. Cristian Mungiu, de retour après 4 mois, 3 semaines, 2 jours il y a cinq ans, Jacques Audiard trois ans après Un prophète et Matteo Garrone quatre ans après Gomorra semblent de leur côté vivement encouragés à rentrer dans cette famille (Grand prix du jury pour Reality du réalisateur italien et Prix du scénario pour Au-delà des collines du cinéaste roumain). Si un bon nombre de ces films "d’habitués" se doit d’être vu (la glaçante odyssée Cosmopolis, Amour dont on dit le plus grand bien ou Melancholia, Le Gamin au vélo et La Piel que habito l’année dernière), il semble que la machine déconne. Car si la sélection officielle du festival n’a que peu la vocation de faire sortir de la confidentialité un grand cinéaste (au vu des dix dernières années, Oncle Boonmee d’Apichatpong Weerasethakul a en effet tout de l’exception), l’ambition qui est toujours la sienne est de mettre sur le devant de la scène les films les plus importants du moment, et avec eux leurs réalisateurs.

Michael Haneke, Lars Von Trier ou encore Pedro Almodovar n’ont ainsi pas besoin de Cannes pour remplir les salles, mais leur présence peut se justifier par la qualité de leurs films respectifs. Voir Cannes comme le phare cinéma du monde reste toujours en 2012 un fantasme persistant. Mais alors, à travers cette envie de capturer le meilleur de l’air du temps, que fait en compétition l’insipide Sur la route de Walter Salles, qui est loin d’avoir fait l’unanimité au sein de notre rédaction ? Après le naufrage de The Housemaid en compétition en 2010, à quoi ressemble la présence d’Im Sang-soo cette année si ce n’est à une deuxième chance ? Simplement, les films les plus importants du moment sont-ils encore dans la compétition officielle de Cannes ? L’année dernière, Takeshi Miike était en compétition avec le mineur exercice de style Hara-Kiri. Cette année, il était également à Cannes avec la comédie musicale Ai To Makoto mais son film lui ressemble tant – fou et incontrôlable – qu’il paraissait impossible de l’inviter dans la liste des 22 élus. Il resta donc hors-compétition. Sono Sion également, l’un des réalisateurs japonais les plus intéressants des quinze dernières années, avait montré l’année dernière un Guilty of Romance dégoulinant de violence et de sexe à la Quinzaine des réalisateurs, mais l’imaginer dans la sélection officielle semblait impensable. Envisager le jury présidé par Robert De Niro devant un bain de sang ou celui de Nanni Moretti devant une comédie musicale déjantée paraît inapproprié ; pas naturel. Ces deux exemples sont pourtant aussi ce à quoi ressemble aujourd’hui le cinéma mondial. C’est aussi bien De rouilles et d’os que Rengaine de Rachid Djaïdani (prix FIPRESCI de la critique internationale pour les sections parallèles) ; aussi bien le cinéma français, américain, sud-coréen qu’algérien (Le Repenti de Merzak Allouache à la Quinzaine des réalisateurs). Si la qualité des films en compétition à Cannes est toujours au rendez-vous (l’année 2012 n’est pas forcément moins intéressante que l’année 2011), si la Palme d’or décernée à Amour n’a à priori rien d’honteuse (au contraire de celle que Quentin Tarantino a décernée à Michael Moore en 2002), il reste que la grande fenêtre sur le monde que promet d’être Cannes chaque année à travers le grand jeu qui s’y joue ressemble de plus en plus au chas d’une aiguille.


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