Room

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Adapté du roman à succès d´Emma Donoghue par l´auteur elle-même, Room » questionne plutôt subtilement la notion d’enfermement. »

Au départ, il y a l’affaire Josef Fritzl, cet Autrichien qui avait emprisonné sa fille Elizabeth vingt-quatre ans durant au sous-sol de sa maison, où elle a donné naissance à sept enfants nés de l’inceste. Le cas Natascha Kampusch – séquestrée pendant huit ans en Autriche toujours – était également présent à l’esprit d’Emma Donoghue au moment de l’écriture de Room (2010),succès international dans lequel une indicible histoire d’horreur terre-à-terre se confondait avec une réflexion sur les relations mère-fils et l’enfermement au sens plus global. Plus que de romancer ces affaires, le livre les prenait comme point de départ pour tisser un récit poignant sur la résilience, la captivité et la création d’un monde parallèle à opposer à l’extérieur, que “Ma”, l’héroïne de Room, n’était pas sûre de revoir un jour. Le film, adapté par l’auteur elle-même et réalisé par Lenny Abrahamson (Garage, 2007 ; What Richard Did, 2012 ; Frank, 2014) est un compte-rendu fidèle et honnête du roman, évocation de la complexité du retour à “la vie normale” plutôt que mélo tire-larmes célébration de la force humaine.

La première heure se déroule exclusivement en intérieur, plus précisément entre les quatre murs de “room”, la pièce dans laquelle Ma et Jack, qui fête aujourd’hui ses cinq ans, ont fait leur vie depuis sa naissance. Jack est la progéniture du ravisseur de Ma, qui leur rend visite une fois par semaine à heure fixe, pour leur apporter quelques provisions et violer la jeune femme au passage, tandis que Jack est enfermé dans le placard. Le sordide de la situation, s’il n’est pas éludé par le film, n’en devient jamais l’objet premier, s’éloignant ainsi de l’austérité âpre d’un Michael (Markus Schleinzer, 2011) ou de l’étude précise qu’est par exemple le roman Claustria (2012) de Régis Jauffret. Il y a que si, pour Ma, la chambre est bien le territoire de sa captivité, elle est pour Jack, qu’elle a voulu protéger, le monde tout entier. Pour l’enfant, n’existe sur Terre que cette pièce, et les images de la télévision, un univers à elles seules. Belle idée d’un territoire duel (limité pour l’un des personnages, total pour l’autre), que le directeur de la photographie Danny Cohen transcrit idéalement en donnant à voir le lieu à travers les yeux de Jack : chaque objet est proche (série de gros plans) en même temps que le cadre est large, soulignant que, pour l’enfant qui n’a connu que cet endroit, il n’est ni petit, ni effrayant, ni opposé à un extérieur qui serait meilleur.

Ma a réussi à en faire un espace douillet, cocon protégé mine de rien des agressions extérieures : les parents ne passent-ils pas leur vie à tenter de protéger leur enfant d’un potentiel danger ? Mais ce jour-là, Jack a cinq ans et Ma se heurte au nouvel espoir de s’échapper : leur ravisseur sera de retour ce soir, elle a peu de temps pour échafauder un plan, expliquer à Jack qu’il existe en fait quelque chose en dehors d’ici (le concept même de “dehors” n’ayant pas grand sens pour lui) et qu’il faut qu’il aille chercher de l’aide et venir la délivrer. Puissante séquence d’évasion minutée à la seconde près, ici encore filmée du point de vue de Jack, qui ne comprend pas très bien ce que sont ces rues, ces feux rouges, ces voitures et ces passants. Le jeune acteur Jacob Tremblay, sept ans au moment du tournage, fait des merveilles dans la transcription en images de ce qui est une nouvelle mise au monde, donnant l’incroyable impression de ne pas jouer et de réellement découvrir chaque chose.

 

La suite du film est un peu plus convenue : une fois dehors, comment revenir à sa vie d’avant ? Comment composer avec un père qui refuse d’approcher un enfant né d’un viol ? Comment se reconstruire, et comment ne pas vivre un débordement d’affection comme un nouvel enfermement ? Si les questions sont légitimes et passionnantes, leur mise en scène est bien moins inspirée que celle de la première partie, dans laquelle Brie Larson (récompensée par un Golden Globes et tout récemment par l’Oscar de la meilleure actrice) excelle dans un jeu de l’ordre de la climatologie : confinée par l’espace, c’est bien dans les expressions du visage qu’elle est obligée de tout faire passer – elle le fait admirablement.

Room aurait gagné à ce que cette justesse du jeu s’accorde aussi bien à cette notion d’intérieur/extérieur qui le contamine tout entier, mais que Lenny Abrahamson n’arrive jamais à installer tout à fait. Car il s’agit autant pour Ma d’échapper à l’intérieur que pour Jack d’y retourner, quand il s’aperçoit que le monde qu’il découvre tout d’un coup est bien plus inhospitalier que la boîte (qu’il appelle “room” et non pas “the room”, renforcant encore l’idée de territoire défini) qu’ils ont quittée. A ce titre, la scène où sa grand-mère lui coupe les cheveux marque durablement, lui qui n’avait jamais connu autre chose que ses cheveux longs et que le monde extérieur, enfermé dans des carcans de genre, a tôt fait de définir comme des cheveux de fille. Room, s’il ramène in fine ses personnages à interroger leur rapport au monde et aux traumatismes subis, n’ose jamais réellement les confronter à l’idée que l’extérieur pourrait bien n’être qu’une nouvelle prison. Peut-être l’objet de la troisième partie d’un film qui rêvait d’un happy end, partie qui existerait en dehors du film, une fois la caméra envolée par-dessus la maison des sévices qui était aussi, et malgré tout, un foyer.

Titre original : Room

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Durée : 118 mn


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