A l’occasion de la ressortie du film en 2011, retour sur le parcours accidenté d´un brillant réalisateur injustement oublié.
Malgré d’éminents défenseurs en France comme Bertrand Tavernier, Alexander Mackendrick semble aujourd’hui un secret bien gardé des cinéphiles, que la ressortie de ce Cyclone à la Jamaïque devrait atténuer.
Bien qu’étant américain, Mackendrick passa une grande partie de sa vie en Grande-Bretagne. Il émigra en Ecosse chez son grand-père durant son enfance lorsque sa mère ne fut plus en mesure de s’occuper de lui. De là, il gravit lentement les échelons au sein de l’industrie cinématographique anglaise. Après des études à la Glasgow School of Art, il intègre une agence de publicité dont il devient le directeur artistique et où il rédigera les scripts de plusieurs spots. Cette expérience l’amène une fois la Seconde Guerre mondiale entamée à intégrer le Ministère de l’Information où il réalisera des films de propagande pour l’état. Ce poste lui permet de voyager à travers l’Europe et le monde notamment pour tourner des actualités. Il acquiert bientôt le statut de producteur et sera en partie à l’origine du lancement du Rome, ville ouverte de Roberto Rosselini.
C’est donc en professionnel aguerri qu’il intègre le Studio Ealing au lendemain de la guerre. Il y passera neuf ans et, après y avoir à nouveau humblement gravi les échelons, en deviendra un des réalisateurs vedettes. La touche Mackendrick, c’est le mélange d’un regard acerbe et amusé sur la nature humaine. L’esprit le plus caustique côtoie une certaine noirceur sous-jacente qui explose dans ses films les plus vindicatifs. Au sein de Ealing, le réalisateur dirigera trois authentiques chefs-d’œuvre. Whisky à gogo (1949), son premier film montrait ainsi une communauté écossaise insulaire rongée par la déprime suite à la pénurie de whisky due à la guerre. Tout change lorsqu’une cargaison de l’armée anglaise échoue sur les côtes, le récit se transformant en film d’espionnage où, à la place d’un microfilm quelconque, le but est de dissimuler la précieuse boisson aux autorités. Le réalisateur fait largement usage des souvenirs de son enfance écossaise pour dépeindre cette truculente communauté et des scènes de beuveries épiques. L’antagonisme et la défiance envers les Anglais se dessinent également brillamment sous l’humour. Son film le plus connu demeure Tueurs de dames (bien mal remaké récemment par les Coen), bijou d’humour noir où une vieille dame offre une opposition inattendue à un groupe de cambrioleurs mené par Alec Guiness. Le film le plus remarquable de cette période demeure néanmoins L’Homme au complet blanc (1951), fable acerbe sur le corporatisme industriel. Alec Guiness y incarne un scientifique ayant trouvé la formule d’un tissu inusable et insalissable. Divers lobbys en auront bientôt après sa personne pour cette invention qui causera leur perte.
En 1955, Mackendrick cède à l’appel d’Hollywood et retourne au pays. C’est là qu’il réalise ce qui reste son plus grand film (et celui qui causera sa perte) avec Le Grand Chantage (1957). Brûlot ravageur sur le pouvoir néfaste des médias à travers un patron de presse tout puissant et manipulateur joué par Burt Lancaster et son agent tout aussi sournois joué par Tony Curtis. D’une noirceur absolue et sans concession, le film fait scandale et suite à un tournage houleux (tension entre Mackendrick et Lancaster qui produisait le film via sa compagnie) signe un net ralentissement dans l’ascension de Mackendrick. La suite ne sera que déception sur fond de projets avortés ou limogeage en plein tournage sur Le Fil de l’épée et Les Canons de Navaronne (dont le succès aurait pu le relancer) où il est remplacé par les médiocres Guy Hamilton et Jack Lee Thompson. Les films s’espaceront de plus en plus jusqu’à ce qu’il décide de se tourner vers l’enseignement.
Cyclone à la Jamaïque constitue donc un des tout derniers films d’Alexander Mackendrick, mais en dépit de son statut d’aventure estampillée hollywoodienne, on se rend assez rapidement compte que son style direct et si particulier du studio Ealing ne s’est pas estompé. Au vu du pitch, on s’attend à un récit initiatique d’aventure enfantine à la Contrebandier de Moonfleet mais les premières minutes nous contredisent immédiatement. Un ouragan d’une violence incroyable décime la demeure de colons anglais. C’est l’occasion de découvrir le ton noir qui va s’annoncer et surtout la personnalité atypique des enfants héros du films. Loin des figures angéliques et innocentes attendues, ce sont de petits sauvageons totalement détachés et insouciants, jamais décontenancés par la violence qui peut les entourer. Cet aspect s’accentue lorsqu’ils se retrouvent prisonniers par erreur du bateau de pirates commandé par Anthony Quinn et James Coburn. Loin d’être intimidés, le navire devient pour eux un vrai terrain de jeu et les pirates aux mines patibulaires des compagnons de jeu, en particulier Anthony Quinn qui va étonnement s’attacher à eux. C’est sans compter sur la superstition de l’équipage qui va se faire de plus en plus menaçant en cherchant à se débarrasser des enfants, synonyme de malheur sur un bateau. Le film rejoint là les belles et méticuleuses descriptions d’équipage du Billy Budd de Peter Ustinov ou plus récemment Master and Commander de Peter Weir qui captaient si bien le quotidien de cette communauté. On ne retrouve pas cet aspect habituel devant rendre les enfants forcément attachants (hormis la formidable petite Deborah Baxter jouant Emily) mais surtout surprenant de naturel et un peu décalé. Mackendrick peut ainsi se permettre de les placer dans les situations les plus périlleuses ou carrément en tuer un dans une scène aussi inattendue que choquante.
Le film possède un ton unique même si on regrette l’absence d’un grand morceau de bravoure malgré les moyens déployés. La fin est d’ailleurs étonnement ambiguë, difficile de se faire une vraie idée sur le message de la conclusion et l’attitude de la fillette. Ces deux films suivants n’ayant guère de retentissement, Cyclone à la Jamaïque constitue donc un beau chant du cygne pour Mackendrick qui devenu enseignant au California Institute of the Arts aura quelques élèves qui sauront faire leur chemin comme le producteur Michael Pressman ou le réalisateur James Mangold. On espère que cette ressortie annoncera une édition dvd pour un film toujours inédit chez nous.
Trois ans après son court-métrage Adami, « L’arche des Canopées », Céline Sallette revient à Cannes et nous confirme qu’elle fait un cinéma de la candeur.