Rencontre avec Yolande Moreau

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Rencontre avec Yolande Moreau à l’occasion de la sortie en salles de son deuxième long métrage « Henri », présent à la Quinzaine des Réalisateurs 2013.

Henri est votre deuxième long métrage après Quand la mer monte… (2004). En tant que réalisatrice, quelles expériences vous ont offert le premier qui ont pu vous être utile à l’heure d’entreprendre le deuxième ?

C’est sûr qu’après Quand la mer monte…, je n’aurais jamais imaginé y aller pour un deuxième… De cette première expérience, je garde le souvenir que les problèmes se règlent au fur et à mesure, au quotidien. Il y a du travail en amont et ça se prépare bien sûr, mais justement, j’avais aimé ce travail-là et je ne rêvais que de recommencer comme maintenant. Pourtant, j’ai tout de même mis un temps à me dire : « Est-ce que t’es sûr que c’est cette histoire-là que tu veux raconter ? Pourquoi celle-là, et pas une autre ? Quelle résonnance a-t-elle en moi » ? Je voulais que ce soit fondamental pour moi. Ce n’est qu’une fois le pourquoi de trouvé que j’y suis allée finalement.

L’avez-vous donc trouvé, ce pourquoi ?

C’est assez personnel, mais je pense que oui, oui…

Au niveau du budget, avez-vous bénéficié de plus de libertés que pour votre premier long ?

Henri est un petit film. C’est sûr que j’ai eu plus de moyens que pour le premier, on a été plus à l’aise. Ce qui est bien, c’est que les gens ont pu être payé normalement. Aussi, j’ai pu avoir le temps qu’il fallait, j’ai pu monter le temps qu’il fallait, j’ai pu avoir les musiques qu’il fallait… Mais ça reste un petit film avec un budget de 3,5 millions d’euros environ, ce qui n’est pas un budget fort, mais j’ai pu travailler à mon aise, avec des acteurs qui ne demandent pas des mille et des cents non plus… De toute façon, le cinéma est un art qui coûte cher. Ce qui n’est pas mal aussi, parce qu’on a des obligations. Par exemple, pour la scène en bord de mer, il nous manquait un voire deux jours de tournage. Si j’ai certes réussi à obtenir un jour supplémentaire, il m’a fallu sabrer des choses, mais finalement, je ne le regrette pas.

En 2013 il est malheureusement encore trop rare de rencontrer des femmes réalisatrices. Avez-vous senti des tensions ou des barrières à ce niveau-là ?

Honnêtement non, pas plus que ça. La difficulté, c’est qu’une fois le scénario fini et les aides du CNC et de la région Nord obtenues, j’avais très peur du côté technique : je ne connaissais ni la caméra ni les bons termes à employer. Mais ma fille qui est scripte m’a beaucoup aidé à préparer le travail avec le chef opérateur Philippe Guibert. Lui aussi m’a d’ailleurs beaucoup aidé, car c’est quelqu’un qui est à l’écoute et qui m’a permis de trouver les mots justes pour décrire ce que je voulais.

Combien de temps a duré le tournage ?

Neuf semaines en tout… C’est bien, on peut faire des choses en neuf semaines !

Quelle a été pour vous la scène la plus difficile à tourner ?

La difficulté ne vient pas toujours de là où on l’attend. C’est vrai que je redoutais la scène où Rosette [interprétée par Candy Ming, ndlr] rejoint Henri [interprété par Pippo Delbono, ndlr] dans sa chambre lorsqu’il est bourré, et qu’il va l’embrasser. C’est pourtant la première scène qu’on a gardée. La difficulté venait du fait qu’il va l’embrasser, mais sans oublier qu’il est bourré : il fallait qu’il est à moitié un geste un peu équivoque, et en même temps elle est très belle… J’adore le regard de Candy à ce moment-là ! Elle lève ses yeux, elle est complètement… On sent le moment où Rosette se dit : « Tiens, il m’arrive quelque chose là »… Et ses gestes à lui sont compliqués, parce qu’il ne la renverse pas sur le lit, c’est ambigu… Il faut jouer l’homme saoul, c’est très difficile à faire !

 

Vous avez beaucoup travaillé cette scène en répétitions avec les comédiens ?

Cette scène n’a pas été répétée avant le tournage, j’avais envie de garder une certaine fraîcheur. Je n’avais pas envie de mettre la pression à Candy non plus, parce que ça lui faisait un peu peur aussi… Mais je lui ai dit : « Tu vas voir, tu te dis bricoleuse de la vie, mais moi aussi je suis une bricoleuse de la vie ! On est toute une équipe, c’est une équipe très aimante, tu vas être bien entourée, on avance au coup par coup, et les choses sont plus simples que ce que l’on croit » ! Après, il y a des choses qu’il faut bien sûr répéter, je pense par exemple à ce que j’appelle « ma scène de guerre » qui a lieu dans le foyer d’handicapés mentaux, lorsqu’ils disent tous « Du cul ! Du cul » ! Ils sont tous là, et ça se répond de table en table. Ça, on l’a répété… Mais très vite ils sont devenus des comédiens, il y a en a qui ont improvisé des « Ouais, avec ta mère ! » et autres, volontairement un peu provoc’, et je me suis dit : « Ah ben ça, ça m’amuse, on le garde » !

Une de mes scènes préférées est celle de l’envol des pigeons : l’image a une très grande puissance à ce moment-là, presque de l’ordre de la transcendance. Comment avez-vous réfléchi au design sonore qui l’accompagne ?

Toute la scène a représenté un énorme travail. L’envol des pigeons a été filmé au ralenti : c’est une idée très intéressante de Philippe Guilbert, parce que justement, c’est un moment qui va très vite, où Candy lève sa main et l’ouvre, très gracieuse, comme pour accompagner l’envol… Moi aussi je suis particulièrement émue à ce moment-là. Quant au son, je pensais à cet instant d’attente devant les cages, puisqu’il me fallait 4000 pigeons… Le mixeur en a bavé d’ailleurs, parce que pour renforcer l’image, il en a rajouté, des pigeons ! Des pigeons qui passent devant, un dernier pigeon qui passe après les autres… Et puis au dernier moment après l’envol, j’adore les quatre vieux copains perdus dans la nature qui regardent les pigeons partir, avec au loin la ville d’Arras. Graphiquement j’aime bien, ça me plaît !

J’ai eu la même sensation pour la scène autour de la vitre de l’hôtel en bord de mer, où Henri et Rosette, chacun de leur côté, s’approchent l’un de l’autre…

Ce moment-là provient en fait d’une difficulté. Dès l’écriture du scénario, Candy me disait : « Moi, pas question de l’embrasser ! », et donc je me suis dit : « Ben ils se rapprocheront à travers la vitre alors ». L’idée qu’il dessine sa bouche et son nez est venue très vite ensuite. Entre-temps, il y a eu aussi une part d’accident. Je fais volontairement appel aux reflets de Pippo dans les miroirs à certains moments du film, mais à travers la vitre de l’hôtel, quand on voit le reflet de Candy dans Pippo, ça je m’y attendais pas, ça m’a plu  ! Avec son joli sourire, à ce moment-là… Elle a un sourire magnifique !

Je suis d’accord !

Oui, elle est tout le temps magnifique ! [Rires] Cette scène à l’hôtel a aussi été très fortement travaillée au montage. La matière était là, mais c’est un travail de groupe et j’ai particulièrement aimé travailler avec le monteur Fabrice Rouaud. Je trouve qu’il a été très inventif dans cette scène-là. J’avais par exemple envie d’utiliser la musique d’Asaf Avidan, et c’est Fabrice Rouaud qui a eu l’idée de la mettre à cet instant précis : elle est très forte cette musique, magnifique…

Dans ce sens, quand est-ce que vous avez commencé à réfléchir à la musique ?

J’adore avoir des idées de musique pendant l’écriture, il y en plein de morceaux qui étaient déjà présents à ce moment-là. Je pense par exemple à Petula Clark ou à Ti Amo, qu’on a utilisé comme un morceau de musique qu’ils passent durant l’enterrement de la femme d’Henri. Ti Amo est un morceau génial, et si chiant en même temps…

C’est vrai… [Rires] Est-ce que vous pouvez nous parler de votre collaboration avec le musicien et compositeur Wim Willaert, avec qui vous aviez déjà travaillé dans Quand la mer monte… ?

La musique originale de Wim Willaert est arrivée bien avant le tournage. Mais c’est difficile de parler de musique dans un film qui n’existe pas encore… La seule chose que je savais c’était que je voulais une musique qui avance. Mon repère c’était le pont, extrêmement graphique, que Rosette traverse pour aller travailler au restaurant d’Henri La Cantina, et pour revenir au foyer où elle habite. Ce pont était ma référence. Du coup, j’ai demandé à Wim Willaert de me faire des propositions. Deux ans avant le tournage du film, je l’ai invité chez moi, à la campagne. Il est venu avec ses musiciens flamands, et ils ont fait plein de musiques que j’ai stocké, et qui sont presque toutes dans le film. J’avais demandé des musiques à d’autres gens qui m’ont tous fait des propositions très intéressantes mais au montage, la musique de Wim s’est vraiment imposée en ce qu’elle avait de dissonant. Très vite, on s’est rendu compte qu’on voulait de la guitare électrique par exemple. De son côté, Wim parlait toujours avec son accent flamand de « son petit flûte », qu’on voit et qui intervient à certains moments-clés du film.

Le plan-séquence est récurrent dans Henri, est-ce que cela a un rapport avec votre expérience du théâtre ?

Pour Henri, j’ai senti combien j’avais été influencée par mes années de théâtre, peut-être même encore plus que dans Quand la mer monte… Il y a déjà cette idée de mise en scène en faisant les plans : faire des entrées, des sorties, aimer les plans-séquences, voir les personnages dans un décor, le scope… Mais aussi dans ma manière de raconter une histoire en prenant des choses à gauche et à droite… Le sens de l’ellipse aussi. Tout cela existe au cinéma mais également au théâtre, oui.

Et pour les comédiens, est-ce que le jeu sur scène est radicalement différent du jeu devant la caméra, ou existe-t-il tout de même des points communs ?

Au cinéma et en tant que comédienne, je joue avant tout pour l’équipe qui est là, pas pour la caméra. Peut-être que je manipule, je n’en sais rien, mais dans un tournage, comme au théâtre, on sent quand l’équipe est avec toi ou pas. De toute façon pour le cinéma, moi, j’ai l’impression de débuter…

Je vous avoue ne pas être très d’accord…

Ben oui, c’est que je suis lente moi aussi ! J’ai une passion pour l’image et pour le jeu, parce que le jeu c’est l’âme qu’on vient chercher et que l’on donne au théâtre, à travers une lecture par exemple. Au cinéma, on donne l’âme d’une autre manière. Quand par exemple on voit Candy assise au bord de son lit et qu’elle rêve, moi, je ne m’ennuie pas une fraction de secondes !

C’est vrai : le rythme du film s’accorde très naturellement au jeu des comédiens. Je pense que si on ne s’ennuie pas une fraction de secondes dans cette scène, c’est parce qu’il n’y a pas une seule fraction de secondes de plan de monté en trop.

J’espère oui, j’aime bien ce que vous me dites… Mais je pense qu’il va y avoir des gens que ça va emmerder, parce que le rythme du film n’est quand même pas dans le vent de l’époque, où les choses vont vite, caméra à l’épaule… Ce n’est pas du tout le cas dans Henri.

Qu’est-ce qui vous est arrivé de pire et de meilleur au cours de l’écriture de Henri ?

Ah… Le pire c’est le début. C’est là que c’est douloureux, parce qu’on doit poser des choses. Avant, j’employais la gomme et le crayon et j’effaçais quand je n’aimais pas, je ne voulais pas qu’on tombe sur mes écrits ! Mais petit à petit arrive le meilleur : c’est quand l’histoire devient obsessionnelle et que tout se raccroche. On est dans la voiture, on entend un morceau de musique et on commence à se demander : « Qu’est-ce qu’il pourrait apporter par rapport à l’histoire ? Et ce paysage-là, par exemple » ? Cela sans arrêt. C’est là que ça devient intéressant et excitant. Mais pour arriver là, il y a cette période douloureuse qui sert à poser les choses, surtout que moi je fonctionne dans le bordel et je le revendique mais ah… c’est épuisant !

Et au tournage ?

Le pire c’est toujours juste avant le tournage. C’est cela qui fait très peur parce qu’on a un scénario, mais on n’a pas encore la matière. Un scénario, ce n’est qu’une étape, c’est ensuite que la matière arrive. Et là on s’interroge : « Comment ça va se goupiller le tout ? Est-ce qu’il y aura une vraie rencontre avec les comédiens ? Est-ce que les gens que j’ai choisi vont bien marcher ensemble » ? Après cela, de temps en temps, on a tout de même droit à des instants de grâce. Je pense par exemple à la scène de l’angélus, qui s’est faite assez vite, où on a mis la musique très fort pendant le tournage, même si ce n’est pas la musique que j’ai finalement employée au montage. Pendant qu’on tournait j’avais l’idée de la musique, et tout le monde chantait avec ! C’est important pour l’équipe, je le sens surtout en tant que comédienne, quand on sent une force comme ça autour, et que tout le monde est content du moment et que, tout à coup, l’instant devient magique.

C’est intéressant parce que j’ai retrouvé cette même intensité en salle côté spectateur, ce qui est très rare !

Mais j’aime ça moi, j’aime bien sentir une salle heureuse ou perceptible !

Et en post-production, quelle a été votre meilleur et votre pire souvenir ?

Sans aucun doute, l’angoisse de ne pas pouvoir employer le morceau que je souhaitais de Asaf Avidan. Je l’avais rencontré dans un petit festival à Giverny à l’époque où il n’était pas encore connu. On avait immédiatement acheté un 4 pistes que j’ai adoré. Entre-temps, c’est devenu un morceau techno et il y a eu une nouvelle version, plus rapide. Mais nous, on voulait la lente de 4 pistes… or ce n’était plus possible de l’utiliser. Je pensais vraiment que c’était mort, mais le problème c’est que je n’imaginais pas le remplacer par autre chose. Heureusement, j’ai une productrice géniale qui a remué ciel et terre, des amis géniaux aussi, notamment mon copain Éric Carrière à Giverny, tout le monde s’y est mis, et on a finalement pu utiliser la version lente !

Vous dites que vous avez écrit le personnage de Rosette pour vous, mais que finalement vous vous êtes trouvée trop vieille pour l’interpréter. Pourriez-vous m’expliquer davantage votre choix ?

C’est vrai que je pensais interpréter Rosette quand j’ai commencé à écrire le scénario en 2003.

Vous avez commencé à écrire en 2003 ?

Oui, c’est long…

Mais c’est normal je crois… Du moins j’ai cru comprendre que c’était souvent le cas…

[Rires] Oui. Et j’ai fait d’autres choses entre-temps, et puis je suis lente… Je mets vachement de temps à me dire : « Qu’est-ce que je vais faire ? Est-ce que tu es sûre de cette histoire » ? Rien que pour cela il se passe déjà des mois… Et pour Rosette, je voulais qu’elle raconte qu’elle est enceinte, aussi je me suis dit : « Ça va, t’as passé l’âge » ! Ça aurait été une autre histoire. Et puis finalement, je suis tellement contente d’avoir rencontré Candy que tu vois, j’ai fait un petit rentre-dedans !


NB
: À l’occasion de la sortie de Henri, la galerie La Niche (23 rue Faidherbe, Paris) expose les tableaux du peintre JF Jones Jacob autour de l’univers du film, jusqu’au 4 janvier 2014.

Propos recueillis par Lydia Castellano – Novembre 2013

 

À lire : la critique de Henri.


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