Tout le film repose donc sur le parallèle entre mémoire de la Shoah et mémoire de Zev, ce dernier personnifiant l’impossibilité de vivre libres en oubliant notre passé. A de rares exceptions, son road trip est en effet totalement guidé par la lettre de Max – à laquelle il se cramponne à chaque perte de mémoire – et rythmé par les coups de fil qu’il lui passe pour l’informer de ses progrès. Sa mémoire est certes un fardeau, mais elle donne un sens à sa (sur)vie : une scène le montre ainsi hilare devant un dessin animé, apaisé car détaché de lui-même, temporairement insouciant avant qu’une fillette ne lui lise la lettre qui commence, comme une claque, par lui rappeler la mort de Ruth. Certaines réminiscences sont cependant moins pénibles, lorsque l’émotion d’une rencontre avec des Rudy Kurlander fait ressurgir chez Zev ses réflexes de pianiste, et ses penchants pour Mendelssohn ou Wagner.
Cette bonne idée, bien exploitée jusqu’au dénouement, perd néanmoins toute sa puissance tant le film donne l’impression qu’Atom Egoyan n’est pas convaincu par la vraisemblance de son scénario, et le traite donc sur un mode décalé pour mieux faire passer la pilule. Mais cette alternance de scènes dramatiques et légères se révèle extrêmement gênante, car Remember semble tourner en dérision le travail de recherche des ex-nazis par les fondations Wiesenthal ou Klarsfeld, ou a minima le dramatiser sans vergogne pour en tirer un film de vengeance peu crédible. Cette dissonance entre le propos et la forme surgit notamment par le biais des personnages secondaires (aide soignante, chauffeur de taxi, garde frontière, employés des différents hôtels …) qui interviennent toujours sur un mode léger et comique, contrastant avec la sénescence de Zev. Elle découle aussi d’incohérences scénaristiques, la plus flagrante étant la capacité du papy grabataire à manier son revolver comme un agent spécial alors qu’il demande en l’achetant à ce qu’on lui en écrive le mode d’emploi, et qu’il tremble comme une feuille. Ce décalage, qui naît enfin de la bande-son et de l’image – avec un final aux tons chatoyants, dans un chalet digne d’un spot Center Parcs – visait sans doute à nous soulager un peu de la dureté des questions évoquées, mais fait ressembler Remember à une vaste faute de goût d’un réalisateur dépassé par son sujet.