Remakes des films d’horreur : que reste-t-il des années 70 ?

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Poussée par des recettes colossales au box-office, la production de remakes bat son plein et le film d’horreur des années 70 y a particulièrement la cote. Comment trente années après, ces remakes peuvent-ils encore marcher dans les pas de leurs aînés? Comment s’est transformée la représentation de l’horreur? Qu’en est-il de la subversion, de l’engagement?

Halloween, La dernière maison sur la gauche, Zombie, Massacre à la tronçonneuse, La colline à des yeux, Amityville… Toutes ces oeuvres ont en commun, en plus d’être des grands noms de l’horreur des années 70, d’avoir eu droit à une nouvelle jeunesse durant la première décennie 2000 à travers le remake.

Chacun de ces films, né durant la décennie qui a vu la mort de l’horreur gothique, possède aujourd’hui une existence bicéphale partagé entre l’oeuvre originale, les souvenirs et les sensations qui nous lie à elle, et donc le remake. Si quelque fois la frontière entre les deux se brouille clairement du fait d’une narration toujours très proche de l’original chez le remake, les deux oeuvres arrivent pourtant à subsister individuellement grâce aux trente années qui les séparent. C’est à dire que plastiquement et donc émotionnellement, mais aussi au niveau du discours véhiculé, les deux films ont une vie propre et existent l’un sans l’autre.

A la différence de remake plan par plan comme l’a fait Gus Van Sant avec Psycho, ou bien de remake " hommage " comme Obsession de De Palma, si le respect du matériau d’origine est forcement une condition du tournage, ce n’est pas une fin en soit. En effet, films de commande, l’objectif de ces remakes est avant tout de marcher commercialement dans les pas de leurs aînés. Des films indépendant au budget très réduit (90 000 dollars pour La dernière maison sur la gauche de Wes Craven) qui rapportaient jusqu’à deux cent fois leur coût.


 

Récupérés par les grands studios hollywoodien, les remakes vont eux se confronter à un marché très différent, et à un public plus difficile car plus confronté à la violence que l’était celui des 70’s: il va falloir en faire plus qu’il y a trente ans. Le coût n’est donc plus le même et les gros studios tendent à limiter au maximum les risques. Dennis Lliadis, réalisateur de la version 2009 de La dernière maison sur la gauche, ayant par exemple été choisit par Universal parmis près d’une centaine de ses confrères. Là où ces remakes deviennent intéressants, c’est que les studios ont très vite compris que s’appuyer sur un titre ne suffit pas et que si ces films avaient si bien marché il y a trente ans, c’est qu’il y avait sans doute un vrai réalisateur aux manettes (Carpenter, Hooper, Craven…).

De par ce fait, leurs remakes, plus que des films de producteurs, possèdent presque tous la patte de leur réalisateur. Alexandre Aja, Zack Snyder, Marcus Nispel, plus que des bons artisans, ont une réelle vision du genre. Bourrée de références, mais personnelle, dans la continuation de leur filmographie. Mis à part Amityville, remake assez raté d’un film original déjà très en dessous des grandes références de son époque, ou bien le Halloween de Rob zombie, qui malgré une première partie réussie fait pâle figure quand elle se cale sur la cadence de Carpenter, peu de films totalement ratés dans ces remakes.

Étonnamment, bien que rarement au niveau de l’oeuvre originale, tout ces films arrivent aussi bien à répondre aux attentes des spectateurs, qu’à celle des studios. Leur grande qualité étant également de faire ressortir de la poussière certaines oeuvres majeures qui ne demandaient qu’à exploser au visage des jeunes générations. Sans jouer au jeu des sept différences, les variations entre film original et remake, existent naturellement, que ce soit dans la représentation de l’horreur à l’écran ou bien dans le message caché derrière un genre si propice à cet exercice. Ces variations qui ne condamnent ni l’original, pouvant être appréhendé comme kitch, ni le remake souvent associé aux machines à fric qui le manipulent, au contraire les caractérisent, leur donnent vie.

Figures de l’horreur et variations de leur représentation

L’exemple de Massacre à la tronçonneuse est sans doute l’un des plus frappants. Interdit pendant plusieurs années un peu partout dans le monde, traînant une réputation d’oeuvre barbare ultra violente, le film de 1974 suggère pourtant plus qu’il ne montre. Avec très de peu moyens mais une idée géniale à la minute, Tobe Hooper arrive à créer chez les spectateurs un souvenir qui n’existe pas. Celui d’un film sanguinolent, gore qui n’est pas sur la bobine. L’atmosphère si pâteuse du film découle tout d’abord des moyens avec lesquels Hooper a filmé son histoire. Ce grain si particulier, sale, inconfortable, typique des oeuvres d’horreur de ces années, venant d’un tournage en 16mm gonflé ensuite en 35mm (La dernière maison sur la gauche par exemple utilisant également le même procédé).

Mais la grande qualité du travail de Hooper, ce situe dans son montage grâce auquel il a contourné les problèmes de budget et qui a fait de Massacre à la tronçonneuse cette oeuvre dure, où tout ou presque est suggéré. La célèbre scène du crochet à viande en est la plus parfaite illustration. Hooper filmant Leatherface suspendant sa victime à un crochet. Au lieu de filmer la scène en trois temps avec 1- Leatherface tenant sa victime à bout de bras, 2- le crochet entrant dans la chair de sa victime, 3- la victime suspendue, Hooper extrait de ce dispositif la deuxième partie. Le climax étant alors tout autre. Le corps suspendu se substituant au plan présentant la pénétration du crochet dans la chair. Le comble venant du fait que la victime sera présentée comme toujours vivante et que la douleur, l’horreur de la scène viendra de cette information. Hooper semble avoir un temps d’avance sur nous et en ôtant volontairement certains plans de ses scènes, ferme les yeux à notre place. L’horreur pourtant est toujours présente, mais en périphérie.

Cette scène est bien entendu présente dans le remake de Nispel et son traitement illustre bien les différences entre ces deux films. Non seulement Nispel ne va pas ôter le plan du crocher rentrant dans le dos de la victime, mais il va rajouter encore des éléments appuyant la douleur de son personnage. Sel sur les blessures, balancement de la victime… On est ici très loin de la suggestion de Hooper, et le montage de Nispel, cadencé comme celui d’une scène d’action, comporte près de dix plans en vingt seconde de scène. Cette scène s’incorporant parfaitement dans le traitement totalement différent de la peur chez Nispel. Film de studio oblige, tout doit aller plus vite, être plus explicite.

Le Leatherface de 2004 courant beaucoup plus vite que son ancêtre et malgré ces allures bonhomme est tout bonnement impossible à semer. Si le film gagne en explosivité, le côté bancal du tueur, sa démarche de poupée désordonnée est abandonnée. Le magnifique final presque grand guignolesque de Leatherface sur la route de 1974 étant totalement absente du remake dont la dernière demi-heure se résume à une course poursuite sans fin. Le traitement de Nispel n’est pourtant aucunement condamnable, montrant ce que Hooper faisait seulement semblant de montrer. Le film de 2004 est le film gore que celui de 1974 n’était pas.

Pourtant, remake n’est pas toujours synonyme de surenchère du gore, de l’excès. Au contraire, un remake peut être plus " clean " que son aîné. Je pense particulièrement à des film comme Zombie de Romero et Dawn of the dead de Snyder. Le film de Romero, malgré un humour très présent, léger par rapport à l’horreur que vivaient les personnages, est un film particulièrement gore où rien n’est suggéré, où tout est offert aux spectateurs. Le rouge coule à flot et surtout, quand un zombie arrive à mordre le coup d’une pauvre victime, Romero ne ferme pas les yeux pour nous. Au contraire, au lieu de laisser tourner la caméra, il se rapproche. En découle nombre de plan de chair détendue, dont une mâchoire teste l’élasticité.

Loin d’être kitsch, ces scènes surprennent car assez absente du cinéma d’horreur de ces dernières années (mis à part des films comme Hostel et ses cours de physiologie). Si les zombies de Romero meurent sans émotions, presque sans résistance, toute la tension de son film repose sur ces plans de chair qui se déchirent lentement. Sur le rappel de la souffrance que pourrait vivre nos héros au contraire de ces zombies insensibles. Chez Snyder, tout est différent. L’humour tout d’abord s’il est bien présent, n’a pas la même résonance. Les héros de Romero, enfermés dans leur centre commercial, entourés de zombies idiots, essayaient de retrouver un tant soit peu d’humanité en jouant aux vivants. Cuisinant, jouant, riant… Leur distance était une distance par rapport à ce qu’ils étaient en train de vivre. La distance des héros de Snyder, typique du cinéma d’horreur post-Scream, est une distance par rapport au genre. On y rit de nous même. Si cela n’est pas un problème quand le second degré rythme le film (Evil Dead 2; Brain dead...), le problème de Snyder c’est son oscillation entre le très sérieux (suicide du héros sur fond de couché de soleil; accouchement de zombie…) et justement ce détachement. Dawn of the dead malgré son efficacité qui le rapproche plus d’un film d’action que d’un film d’horreur, est totalement bancal de ce point de vu là. Et pour ce qui est de la représentation physique de l’horreur à l’écran, oui Snyder est plus sage que Romero. 

Comme le Leatherface de Nispel, les zombies courent très vite et surtout, tuent presque sans laisser de traces. Ce qui caractérisent les zombies de Snyder c’est ce que Romero refusait, c’est à dire qu’ils sont dotés d’une véritable humanité. En rompant avec les morts-vivants de 1978, lents, amorphes et stupides, Snyder d’une certaine façon trahit ce qui définit même un mort vivant. Rapide, précis, le zombie n’a plus rien d’un zombie. Rien dans son comportement ne ressemble à quoi que ce soit de mort. Même leur regard n’est plus vide, mais remplit de haine et d’agressivité. Comme Nispel avec Massacre à la tronçonneuse, Snyder a été forcé d’accélérer son film, mais le résultat est ici bien plus destructif. Le zombie, le mort-vivant se trouvant alors réduit qu’a un homme fou très rapide, sans doute atteint de rage ou de conjonctivite.

Je n’arrive pas à me faire à l’idée que les zombies courent. Je ne trouve pas ça logique (Propos recueillis par Gilles Penso en juillet 2005 pour filmsfantastiques.com)

L’image de l’horreur n’ayant alors plus aucun sens, tout va alors apparaître comme toc. Les plans au ralentis de douilles vides sortant des 9mm aussi inutiles que l’accouchement d’une femme zombie (preuve supplémentaire d’une certain humanité; difficile d’imaginer un zombie de Romero devenir mère). Efficace en temps que film d’action mais vidé de l’imagerie cradingue de l’original, le film de Snyder semble déjà plus ringard que son aîné et surtout beaucoup plus vide.

Le visage derrière le masque

Des films comme La nuit des morts vivants ou Carnival of souls avait déjà montré la voie à la fin des années 60 et les grands films d’horreur des années 70 vont les suivre: ce genre si libre que l’horreur, avec ses figures tellement abstraites et impersonnelles, permet de parler d’autre chose que de ce qui se trouve à l’écran. La dernière maison sur la gauche de Craven, film dont l’un des principal but est d’expérimenter les limites de ce qu’on peut filmer au cinéma, reprendra la logique du Massacre à la tronconneuse de Hooper. Plutôt que de filmer seulement l’acte de viol et de torture des jeunes victimes de ce film, Craven nous montrera précisément qu’elles ont été violé et torturé; ce qui va résulter de ces sévices.

Plus que l’acte de violence en lui même, c’est ce qui va suivre qui va traumatiser. Le même principe que la scène du crochet de Hooper où la victime vivante qui gesticule provoque l’horreur. Une tache d’urine sur le pantalon d’une d’elle nous rappellera l’humiliation qu’elle a subit quand ces ravisseurs l’ont obligé à s’uriner dessus; titubant quelques mètres dans les bois, elle vomira après avoir été violé… Plus froid, plus réaliste encore que Massacre à la tronçonneuse, le premier film de Craven, même s’il a énormément vieillit (acteurs; mise en scène; montage; musique) reste une référence pour ce qui est du glauque au cinéma et surtout des détails de ce glauque; cette précision macabre.

Mais là où le film de Craven prend un intérêt encore supérieur, c’est quand il tente d’aller de l’avant. Quand dans son dernier quart d’heure il renverse la situation et fait des violeurs, des assassins, les victimes. Là ce qui intéresse Craven n’est plus seulement de filmer l’horreur, le sang, la violence: son film se termine par la vengeance des parents d’une des victimes sur les tortionnaires. Mal foutu, peut-être contestable et à des lieux de la scène de viol absolument terrifiante, ce final rejoint dans une certaine mesure Les chiens de paille de Peckinpah et cette envie de filmer des individus civilisés basculant dans la bestialité la plus primaire.


 

Le remake de 2009 de Lliadis est sans doute lui l’un des films les plus éprouvant de ces dernière années. Esquivant le côté binaire trop calculé du film de Craven, Lliadis aligne les unes après les autres les figures et les scènes qui ont fait le succès de l’original, et ôte quelque peu le côté " expérimentation de la nature humaine " de Craven. Le film y gagne beaucoup. Plastiquement, physiquement ce film existe et dépasse l’original. Plus que ça, le remake, conscient d’être passé à côté de la profondeur, de l’expérimentation de l’original, va tenter dans un final grand-guignolesque de se rattraper. Comme si c’était un point stipulé dans le contrat qui n’avait pas été réglé. L’échec total de ce final prive Lliadis de la copie parfaite.

Se débarrasser de la profondeur des originaux pour rentrer à 100 à l’heure dans une horreur graphique, dénuée de réelle profondeur mais tout aussi sensitive, est commun à presque tous les remakes. Et rare sont ceux qui en sortent grandit. La dernière maison sur la gauche est sans aucun doute l’un d’eux. Le Massacre à la tronçonneuse de Nispel arrive également à soutenir la comparaison avec l’oeuvre originale. Pourtant, Hooper en personne note à quel point le remake a gommé toute la dimension politique de son oeuvre:

Or il manque tout le contexte politique d’alors, qui transparaissaient notamment dans les infos que les personnages entendent à la radio, quand ils roulent dans la camionnette. " Massacre à la tronçonneuse " montrait que toute la famille avait basculé dans la folie à la fermeture des abattoirs, suite à la réorganisation de la filière agro-alimentaire. (Interview de Tobe Hooper, Mad movies, n°185 avril 2006)

Si le film de Nispel garde pourtant un vrai intérêt c’est qu’il est, plus centralisé sur les images du mythe que sur sa dimension politique, totalement libéré. Même si encore une fois le caractère pathétique du personnage de Leatherface est gommé, le remake reste une magnifique galerie de monstre, d’exclus, de marginaux, laissés-pour-compte d’une Amérique dégenerée assez terrifiante. Surtout, il garde la véritable moelle de l’original. A savoir la lutte d’une femme seule dans une nature neutre contre des hommes ayant perdus toute humanité.

Dawn of the dead de Snyder pose beaucoup plus de problèmes. L’original s’organisait selon ce qu’Eric Dufour nomme dans son très bon ouvrage " Le cinéma d’horreur et ses figures ", l’effondrement de l’état de droit. Car oui le film de Romero était bien entendu un pique lancé à la société de consommation par le biais du comportement des zombies qui erraient dans les magasins comme des clients lambda. Mais plus que ça, le centre commercial était un véritable personnage du film qui allait servir les héros réfugiés ici à retrouver une certaine humanité. D’un côté Romero nous présentait des zombies asservis par la société de consommation (même morts on fait nos courses), et de l’autre il montrait à quel point jouer, s’habiller, regarder la télévision, manger, se créer un lieu " vivable " était le dernier recours pour ne pas sombrer.

  D’une certaine manière, nos héros étaient aussi manipulés par le centre commercial que l’étaient les zombies mais dans un même temps, lui seul pouvait les garder en vie. Dans Zombie, on joue à l’humain. On consomme pour se convaincre qu’on vit. On tente de recréer une micro-société pour répondre au chaos extérieur que la télévision nous envoie par bribes d’émissions. Le centre commercial chez Snyder n’est lui qu’un lieu sans âme. Alors oui les personnages s’y baladent, y jouent et y vivent, mais en aucun cas il n’est un lieu d’aliénation et comme tous ces zombies, tout ça n’est qu’un décor. Chez Romero, les personnages tentent de se barricader dans le centre mais vont être délogé par d’autres humains, loubards en motos beaucoup plus hostiles que les zombies. Chez Snyder, le but n’est pas de se barricader mais d’arriver à fuir (toujours plus vite encore une fois). L’effondrement social chez Snyder n’existe pas et les caricatures que sont les personnages ne le permettent pas.

A travers les plus grandes réussites de remakes du genre (grandes par leur ambition, par leur matériau de départ, leurs qualités et leurs erreurs), il reste pourtant difficile d’établir une règle immuable. Qu’est ce qui fait que ça marche… Pourquoi cela ne marche pas… En effet, et c’est sans aucun doute ce qui fait partie du charme de ses films, difficile de prévoir à l’avance de quoi il va retourner. Quoi qu’il en soit, même à leur meilleur, ces remakes ont tous le même point commun: celui de ne pas dégager la même profondeur crade que leurs aînés qui n’étaient pas à la base des films fait pour plaire. Les deux premiers films de Wes Craven, La dernière maison sur la gauche et La colline a des yeux n’étaient pas fait pour flatter le spectateur mais pour le faire réagir à grands coups de gifles. Si aujourd’hui ces films ne font plus le même effet, il est inutile de compter sur leurs remakes. Ils ne joueront jamais sur le même registre et leur immédiateté souvent remarquable ne pourra jamais marquer une époque où chacun des personnages pourraient être un des spectateurs. Plus personne n’est dupe.

La saleté et la profondeur sont à chercher ailleurs. The Descent de Neil Marshall, Creep de Christopher Smith, Isolation de Billy O’Brien sont quelques alternatives où recherche plastique et acuité du discours tentent d’aller de paire. Sinon, les années 70 n’étant pas sans fin, Hollywood a déjà tout prévu (Morse par Matt Reeves, le remake de Hidden, des Chiens de paille…). La machine est en route.


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