Réalité

Article écrit par

Burlesque et déjanté, « Réalité » met en jeu psychanalyse et terreur moderne.

Les États-Unis siéent à Quentin Dupieux. Depuis Wrong (2011) et Wrong Cops (2013), son cinéma impressionne de plus en plus. Réalité est un monument d’absurdité et de poésie qui va très loin dans l’hommage rendu au Luis Buñuel du Charme discret de la bourgeoisie (1972). Mais Quentin Dupieux, qui est aussi musicien, ne se contente pas de s’inspirer des œuvres cinématographiques, il innove et de la plus belle des manières, ce qui donnerait presque envie de crier après avoir vu Réalité : vive le cinéma ! En premier lieu, la musique, magnifique, donne au film – qui joue sur l’absurdité des rêves – un mystère encore plus profond. Faisant fi de son talent auquel il dit ne pas faire toujours confiance, le réalisateur a choisi d’illustrer son film par le morceau de musique répétitive de Phillip Glass, Music With Changing Parts (1971), et plus précisément ses cinq premières minutes. Pour ce qui est du film lui-même, on est tranquille : personne ne saurait vraiment le pitcher. Le réalisateur interprété par Alain Chabat a déjà du mal à le faire auprès du producteur intimidant qui lui demande d’obtenir un oscar pour son cri. Quentin Dupieux se souvient peut-être de l’échec de RRRrrrr!!! (2004) et donne à Alain Chabat l’occasion de rattraper ce cri raté en s’exerçant seul dans sa voiture avec son petit dictaphone. Ce cri primal qu’il doit inventer pour son film l’obsède à tel point qu’il fait fuir les patients de sa femme psychanalyste.

On le sait maintenant : les films de Quentin Dupieux sont complètement déjantés, surtout si l’on pense à Rubber (2009) qui racontait les aventures d’un pneu serial killer ou encore Steak avec Eric et Ramzy, film sur la chirurgie esthétique qui contribua à donner ses lettres de noblesse au jeu subtil d’Eric Judor. Réalité est le prénom d’une petite fille, interprétée par Kyla Kenedy (seul personnage adulte et grave du film), qui trouve un jour une cassette VHS dans les entrailles du sanglier que son père vient d’abattre à la chasse. Cette cassette ensanglantée, dégueulasse, qu’elle ira chercher parmi les viscères de l’animal qui ont été jetés dans une poubelle, rappelle bien sûr le cinéma des origines vraiment tripal, en hommage aussi à L’Écran fantastique, mais surtout à Videodrome de David Cronenberg (1983) dans lequel l’image naît vraiment du ventre comme lors d’un accouchement ou d’une fécondation.

 


Réalité
porte mal son nom, tant il va crescendo dans l’histoire d’un homme pris au piège de ses rêves, à l’instar d’un film de Buñuel, tout autant que dans un film de Hitchcock dont Salvador Dali aurait écrit toute la trame. À peine entré dans la réalité, il faut en sortir au plus vite car il s’avère que la séquence que nous venons de voir est celle d’un rêve. Quentin Dupieux réserve ici de multiples surprises, voire des séquences qui pourraient devenir cultes telle celle de la remise des Oscars lors de laquelle le réalisateur est entouré de mannequins et ne peut se lever de son siège sur lequel il est collé. De même pour la séquence où il va au cinéma avec sa femme et qu’il découvre qu’on passe le film qu’il a imaginé et pour lequel il cherche sans grand espoir un producteur. Réalité n’est, cependant, pas une oeuvre sur la mise en abyme, même si elle la présente pratiquement dans tous les plans. Il s’agit plutôt d’un film dérangeant qui, sous ses dehors de série Z, est d’une profondeur infinie sur l’inconscient, sur la création artistique et sur la vérité. En fait, de désopilante et comique, chacune des scènes bascule dans l’angoisse et le pathétique, notamment dans des passages burlesques comme ce proviseur qui se travestit en femme da façon absurde et grotesque, (interprété par Eric Warehelm, l’un des flics de Wrong Cops). C’est le but réussi que de rendre dérangeante une histoire de film dans le film, en déréalisant la réalité tout en donnant le nom de Réalité au film lui-même. « Mon vrai cauchemar, explique à son tour Quentin Dupieux dans le dossier de presse, serait de faire un film qui ne plairait qu’à moi. C’est pour ça que je m’efforce toujours d’utiliser les codes de la vraie vie. » En les distordant pour les rendre absurdes, comme la vraie vie l’est souvent !
 

Titre original : Réalité

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 107 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…