Quand la planète cinéma rejoint les pavés de la rue

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Faisons un bond en arrière de 40 ans et revenons sur un Festival peu banal : Cannes édition Mai 68 !

40 ans déjà ! Ici réside toute l’ambiguïté de Mai 68 et de sa perception. Dans les souvenirs de certains et les mémoires des autres, Mai 68 est partout et nulle part à la fois. Grands idéaux, envies de changer le monde, de le bousculer, renversement de toutes les représentations d’une autorité répressive, liberté sexuelle, marche en avant du féminisme…voici un tableau du fameux mois de Mai. Cependant, Mai 68 est aussi un grand cri de liberté, de nombreux slogans ornant les murs de la capitale et autres villes de province, l’interdiction d’interdire…Enfin, Mai 68, c’est également Cannes 68.

Cette année-là, Cannes a fait son cinéma… Retour sur un festival pas comme les autres.

Sous les pavés, la plage

Cannes s’ouvre le 10 mai 1968 par la magnifique fresque d’Autant en emporte le vent de Victor Fleming (1939). Le Festival est alors sur son 31, les feux d’artifice illuminent la croisette, et les plus grands sont au rendez-vous. La sélection promet de beaux moments de cinéma. Cannes semble alors bien loin des préoccupations du quartier latin, mais ceci n’est que le calme précédant les grandes tempêtes. Très vite, la rue rattrape le bord de mer et un vent de révolte souffle sur Cannes. Dans le contexte que l’on connaît, peut-on s’occuper exclusivement de cinéma ? La question est posée.

Cinéastes solidaires avec la rue
Dès les premiers jours du Festival, les projections sont interrompues à plusieurs reprises. La décision prise par André Malraux, alors ministre de la culture, d’éjecter Henri Langlois de son siège de directeur de la Cinémathèque Française, dont il est le fondateur, rajoute de l’huile sur le feu.
Le 13 mai, une manifestation se met en place, à l’appel de l’Association française de la Critique, afin de soutenir les étudiants en grève. Mai 68 marche alors sur la croisette.

Pendant ce temps-là, à Paris, la rue perd ses pavés, les affrontements continuent dans le quartier de la Sorbonne et s’étendent, et les Etats généraux du cinéma réclament, le 17 mai, l’arrêt du Festival.

18 mai. De retour sous le soleil, non pas de Satan mais de Cannes : Peppermint frappé de l’espagnol Carlos Saura ne verra pas le jour dans la salle obscure. La nouvelle vague le rattrape. Etudiants et cinéastes, Truffaut et Godard en tête, s’accrochent au rideau rouge par solidarité avec Paris.

Des débats ont alors lieu dans la grande salle du Palais des festivals. François Truffaut, Jean-Luc Godard, Louis Malle, Roman Polanski, Jean-Pierre Léaud et d’autres encore prennent le micro et apportent de l’eau au moulin de ces débats plutôt houleux. La crise est amorcée. Cannes, fermera ou fermera pas ?

Point de non-retour

Les idées ont fait leur chemin. La révolte se transforme en révolution sous les palmiers. Le jury perd trois de ses membres, après leur démission : Monica Vitti, Louis Malle et Roman Polanski. Certains films se voient retirés de la compétition par leurs réalisateurs. C’est le cas de Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais et d’Au feu les pompiers de Milos Forman.

Le cinéma n’est plus le seul à avoir droit au tapis rouge. La politique s’y invite également, monte ses marches et fait son propre cinéma. Les nombreux débats, la démission de certains membres du jury, le retrait de plusieurs films, sont des symboles très forts qui font que le 19 mai, le conseil d’administration déclare clôs, à l’unanimité, le 21ème Festival du Film de Cannes. Un fait historique, le seul de ce type dans toute l’histoire du Festival…


De l’eau a-t-elle coulé sous les ponts ?

Qu’est-il advenu du souvenir de cette édition hors du commun ?

1968 n’aura donc décerné ni Palme d’Or ni aucun autre Prix. Sur 27 films présentés en compétition, 8 seulement auront pu être projetés.

1969 et son Festival restent marqués par l’année précédente. L’odeur de révolte n’a pas totalement disparu des marches cannoises, on le ressent à travers les choix du jury présidé par le réalisateur Luchino Visconti. La Palme d’Or 1969 est en effet remise à Lindsay Anderson pour son film If qui se penche sur la révolte de lycéens anglais face au système éducatif et à la discipline très dure de leur établissement. Faut-il y voir un clin d’œil à Mai 68 ? Très certainement. Tout comme dans le Prix de la Première Œuvre décerné à Easy Rider de Denis Hopper, film mythique de la génération hippie. 1968 souffle encore sur Cannes.

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? 40 ans après, le Festival de Cannes se devait de marquer le coup. La section Cannes Classics a décidé de rendre hommage à cette édition particulière, en projetant plusieurs films présents en 1968 mais n’ayant pu être vus. Les festivaliers de cette année auront alors l’honneur de voir à Cannes Peppermint frappé de Carlos Saura, Un jour parmi tant d’autres de Peter Collinson, 24 heures dans la vie d’une femme de Dominique Lelouch, ainsi qu’Anna Karénine d’Alexandre Zarkhi.

Cette sélection sera aussi l’occasion de voir 13 jours en France de Claude Lelouch, Guy Gilles et François Reichenbach, qui n’était pas présenté lors du 21ème festival de Cannes. Ce dernier, produit en 1968, est un documentaire sur les jeux olympiques d’hiver qui se sont déroulés à Grenoble cette même année. Le film s’intéresse plus à ce qui entoure cette manifestation, et par élargissement à toute autre manifestation, qu’aux aspects sportifs de celle-ci.

Hommage ou reniement ?

Que penser de ces projections de films qui n’avaient pu être vus à Cannes en 1968 ? Pour certains, c’est un véritable hommage qui leur est ainsi rendu. Pour d’autres, c’est une belle façon de renier, d’oublier les événements qui avaient empêché la tenue, dans des conditions normales, du 21ème Festival.

68-08

Et cette année, le Festival aura-t-il un air de Mai 68 ? Certes non. Le Festival de Cannes est devenu moins glamour certes, mais très paillettes (oserait-on dire, "bling-bling"?). Les stars défilent, les flashs crépitent. Pourtant, la sélection promet de belles surprises, du moins on l’espère, et le jury semble très rock’n’roll. Alors, dans un contexte politique (certes très différent d’il y a 40 ans) mondial très mouvementé, après que le Club des 13 a remis son rapport, et avec un président du jury que l’on sait très engagé, Cannes 2008 nous réserverait-il un crû particulièrement politique ? Réponse dans quelques jours, sous le ciel cannois…


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