Police Fédérale Los Angeles (To live and die in LA, 1985, William Friedkin)

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Le grand public connaît « French Connection ». Les fans de Friedkin connaissent « Police Fédérale Los Angeles », l´autre grand polar urbain du cinéaste, jumeau subversif et californien du chef-d´oeuvre de 1971.

Évacuons d’emblée un problème majeur : Police Fédérale Los Angeles s’apprécie mieux sous son titre original, To live and die in LA. Le livre de Gérald Petievich qu’adapte William Friedkin possédait déjà ce nom évocateur, ridiculement shakespearien, et résumant de manière grandiloquente le parcours de ses héros contre-nature, figures perverties à l’extrême du flic et du truand version Californie des années 80. Ce titre a malgré tout son importance dans le projet de Friedkin, on va le voir.

Lorsqu’il s’attaque à sa réalisation, William Friedkin est, bien malgré lui, déjà sur le déclin commercialement parlant. Figure incontournable du « Nouvel Hollywood » des années 70 grâce à deux films à succès représentatifs à la fois de son style et d’une génération de cinéastes (French Connection et L’Exorciste), cet artiste à la fois égocentrique et génial ne s’est pas remis de l’échec massif de son Sorcerer, remake coûteux – et magistral – du Salaire de la Peur, puis du « scandaleux » Cruising. Son franc-parler légendaire, son refus des recettes commerciales et du compromis l’ont finalement mis plus en difficulté qu’il n’aurait pu l’imaginer.

Un sursaut créatif

Le cinéaste reste sur une comédie médiocre (Le Coup du siècle), et tourne désormais pour la télévision. Après avoir manqué l’opportunité d’adapter le « Dragon Rouge » de Thomas Harris au profit de Michael Mann, il reporte son attention sur To live and die in LA, livre qui romance le travail des agents des Services secrets, les présentant comme des super-flics traquant aussi bien les terroristes que les revendeurs de drogue et les faux-monnayeurs. En adaptant le roman, Friedkin plie l’histoire à son univers, faisant de son nouveau film une séquelle inavouée de son matriciel French Connection.

Comme le film de 1971, To live… est, il faut le rappeler, un buddy movie avant l’heure, mettant en scène un duo de flics pourchassant sans relâche un truand insaisissable, qui rivalise d’intelligence et de coups fourrés pour leur échapper. La seule différence, c’est que contrairement aux scénarios de Shane Black, les héros de Friedkin n’ont pas la blague facile et ont plutôt le pied ancré dans une réalité crue, à l’image des vieux polars d’Anthony Mann ou des séries télé type Dragnet ou Les Incorruptibles. Son passé de documentariste a permis à Friedkin de faire de French Connection un manifeste esthétique et social, transformant un personnage réac’ et ultra-violent, Popeye Doyle, en icône cinématographique ambiguë, à mille lieues d’un Franck Bullitt (les poursuites en voiture de chaque film parlent pour eux).

La démarche est la même, quinze ans plus tard, en Californie. Richard Chance, agent des Services secrets accro à l’adrénaline et rétif à l’autorité, est comme un petit frère sous ectasy de Doyle, miroir de son environnement et de son époque : finis la grisaille, le métro et les maquereaux de Brooklyn. Place au soleil fluo de Los Angeles, ses interminables autoroutes, ses déserts terreux et ses vastes banlieues remplies de maisons post-modernes. Les ambiances cliniques et blafardes d’Owen Roizman, qui avait éclairé French Connection puis L’Exorciste, paraissent pour le coup lointaines dans cette débauche de couleurs criardes. Même le lettrage du générique se complaît dans le « pop » pastel et électrique typique de cette décennie.

Indubitablement, Friedkin est ici sous influence : l’autre grand visionnaire qu’est Michael Mann vient de produire Deux flics à Miami, dont les codes visuels et narratifs sont ici tout simplement copiés (et détournés) par le New-yorkais (1). Cet écrin visuel et sonore ancre tellement le film dans son époque, qu’il en est presque une synthèse, bien qu’il s’agisse de l’anti-Arme Fatale dans les faits.

Flics et truands, et inversement

L’histoire est d’une simplicité cristalline, en apparence : Chance perd son coéquipier, tué par le faux-monnayeur Rick Masters (Willem Dafoe, totalement possédé), et cherche à tout prix à se venger, malgré les craintes de son nouveau coéquipier Vukovich (John Pankow). C’est dans la façon dont Chance et Masters vont se chercher que Friedkin innove : comme le brouillard du hammam dans lequel les deux hommes se retrouvent, mis à nus dans tous les sens du terme, les frontières entre les deux camps sont ténues, presque invisibles. L’équation aurait presque tendance à s’inverser, lorsque Chance et Vukovich commettent une énorme bavure tandis que Masters, contrebandier d’exception, parfait la création de faux billets dans une machine à laver. Les flics se comportent comme des voyous idiots, tandis que les truands révèlent des talents d’artistes insoupçonnés.

Inhabituel, ambigu à tous les niveaux (l’homosexualité latente propre aux héros de buddy movies n’a jamais été aussi fortement sous-entendue qu’ici), balançant entre le languissement nihiliste de Masters et le récit policier propulsé par un Chance obsessif, To live and die in LA trouve son accomplissement dans un dernier acte incroyable, qui débute avec une course-poursuite d’anthologie.

To live and die in a movie

Là aussi, le fantôme de French Connection est convoqué : au lieu d’un métro aérien pourchassé par une voiture inarrêtable, c’est un couple de flics qui a perdu tout contact avec la réalité, qui se lance à contre-sens sur une autoroute embouteillée. Là aussi, l’exploit technique (six semaines de tournage pour une séquence !) est ramené à un niveau sensitif pur, rythmé par les pulsations cardiaques de Chance et son partenaire, poussés par l’énergie du désespoir.

Le film, déjà anormalement onirique pour un polar urbain, quitte les rivages narratifs habituels. La suite, on la connaît : Friedkin ose l’anti-climax ultime (trois versions différentes avaient été tournées pour rassurer le studio) en tuant son imprudent et machiste héros d’une décharge en pleine tête, avant de terminer son récit en opposant Masters et Vukovich (qui est finalement le seul personnage à avoir évolué dans le récit) dans un déluge de feu. La touche finale de cynisme est assurée par l’avocat véreux de Masters, symbole d’une société qui cherche le profit même dans les « domaines » les plus inavouables. Pas nécessairement un happy end donc, d’autant que Vukovich, ayant désormais pris la place de Chance, lui prend aussi son amante. Il est appelé à perpétuer de son plein gré un cycle de violence aveugle sans fin.

Sept ans après la sortie du film, c’est toute la ville qui s’embrasera, avec les émeutes de Watts. Même s’il n’a rien d’une chronique sociologique, To live and die in LA préfigure la décadence d’un tel monde obsédé par les armes, la vengeance et la cupidité. Avec son titre mortuaire, définitif, son héros sacrifié, To live… a bien un parfum de cendres, de fuite en avant qui ne peut que se terminer dans le mur.

(1) Michael Mann poursuivra d’ailleurs Friedkin en justice pour plagiat et perdra son procès. L’année suivante, son Manhunter (Sixième Sens) aura pour principal interprète William Petersen, qui crève ici l’écran dans le rôle de Chance.


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