Pas de grandes modifications dans la franchise donc, mais un risque majeur, celui de la redistribution des rôles. Beaucoup de départs à la fin du troisième épisode. Le couple Bloom/Knightley qui, sans être révolutionnaire, apportait du piquant à l’histoire se voit remplacé par un binôme curé/sirène (Sam Clafin et la française Astrid Berges-Frisbey, déjà croisée dans Un barrage contre le Pacifique ou plus récemment dans La Fille du puisatier) qui n’aurait pas été dénué de charme si les rôles n’étaient pas d’une cucuterie au-delà de l’insipide. Parmi les autres nouveaux venus, le mythique Barbe Noire n’effraierait pas un enfant de cinq ans – c’est peut-être le but cela dit – et n’est qu’une bien fade copie du Davy Jones des précédents opus et Penélope Cruz, vraie nouvelle intronisation du film, assure son show d’hispanique à Hollywood sans trop se fouler là où son rôle truffé de faux-semblants et l’évocation de son passé avec Sparrow auraient mérité d’être mieux exploités.
Pirates à la dérive
Heureusement, il reste à Pirates des Caraïbes son atout majeur : son personnage principal et son acteur. Comme à l’accoutumée, l’histoire est un spectre lointain qui offre une direction au film, un prétexte au cabotinage. Et en cabotinage, Johnny Depp s’y connaît. L’un des grands plaisirs de la série tient à sa gesticulation tant gestuelle que verbale : Jack Sparrow meuble l’écran de ses courses et palabres désarticulées. En vraie portée comique depuis le début de la saga, il apparaît essentiellement comme un personnage a-narratif qui interrompt continuellement l’action par un babillage inutile et souvent sans effet, ou la ralentit par des gestes qui le placent délibérément hors de la nécessité de ladite action. Pirates des Caraïbes marque l’érection d’un personnage secondaire comme point focal du film, l’adjuvant qui rabat la couverture sur lui et laisse les héros dans l’ombre. L’histoire d’amour gentiment niaise est certes un moteur de l’action depuis La Malédiction du Black Pearl (2003), mais passe au second plan, noyée par l’agitation et la logorrhée quasi allenienne de Johnny Depp. Miser sur un pirate décati à la dégaine d’une prostituée renversée par un bus n’était pas sans panache.
S’il ne parle plus à une cacahuète, ni ne tombe amoureux d’une chèvre (Pirates des Caraïbes : jusqu’au bout du monde), notre fier pirate n’en vit pas moins des relations tumultueuses. On pense ici moins à la vague romance avec Penélope Cruz qu’au grand amour de sa vie : son ennemi préféré le capitaine Barbossa (Geoffrey Rush) qu’il appelle même par son petit nom – Hector – dans ce nouvel épisode. Comme un vieux couple, ils ne peuvent guère se passer l’un de l’autre et donnent au film ses meilleurs moments. C’est tout juste suffisant pour sauver le navire de la noyade. Hey ho, hey ho, il est peut-être temps de partir à la retraite.