Noir Océan

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Le dixième long-métrage de Marion Hänsel oscille, sans réellement choisir son camp, entre film initiatique sur la fin de l´adolescence et dénonciation de la politique française en matière d´essais nucléaires.

Marion Hänsel se nourrit très souvent de littérature pour réaliser ses films. Après J.M. Coetzee ou Yann Quéffélec, ce sont deux nouvelles autobiographiques d’Hubert Mingarelli, extraites du recueil Océan Pacifique, qui ont retenu son attention pour la réalisation de Noir Océan.

Le synopsis annonce un film un brin moraliste sur les essais nucléaires français dans le Pacifique. Chouette ! D’autant qu’après la catastrophe de Fukushima, le film ne pouvait pas mieux tomber, le sujet des essais nucléaires français (qui se sont poursuivis jusqu’en 1996) n’ayant été que très peu abordé au cinéma… Mais la bombe n’intéresse que peu la réalisatrice, Noir Océan n’exposant en réalité que le quotidien de trois jeunes marins embarqués sur le « Sirocco » en 1972, tentant surtout de montrer la fragilité de la fin de l’adolescence et la brutalité de la vie de ces matelots.

Ainsi, la cinéaste filme l’interminable attente propre à la vie sur le navire avant l’essai nucléaire et réussit à capter le malaise et le mal-être de ces jeunes adultes. Sa caméra ne quitte quasiment pas le « Sirocco » : le film s’étire au rythme de la vie du navire et de la vie en mer : quarts nocturnes, saluts au drapeau, corvées, levées d’ancre… Les distractions sont rares et les matelots doivent tuer le temps : ils traînent, rêvassent, regardent les vagues, jouent aux cartes, se charrient, fument cigarette sur cigarette…

Massima, Moriaty et Da Maggio, une vingtaine d’années, font partie de ces matelots engagés sur le « Sirocco ». À travers ces personnages, la réalisatrice parvient à montrer avec une justesse rare la cruauté et le malaise de la fin de l’adolescence. Massima est tiraillé entre le besoin de faire partie de la troupe et le fait que cela l’oblige parfois à « devenir con », Moriaty, le plus à l’aise au départ, a du mal à faire le deuil de ses rêves d’enfant et enfin Da Maggio, le rondouillard, victime des railleries incessantes de ses camarades, s’adapte avec beaucoup de difficulté à ce nouveau monde d’hommes. Au milieu des trois compères, Marion Hänsel filme Giovanni, le chien, au travers duquel ces jeunes matelots manifestent leur besoin de consolation.

Son génie se situe dans sa manière de capter avec sa caméra une gorge serrée, des larmes qui montent trop vite, une colère qui attend d’exploser… avec une subtilité bouleversante, aidée il faut dire par son casting parfait . Avec seulement quelques éléments de dialogues, des regards et des gestes furtifs, Adrien Jolivet, Nicolas Robin et Romain David arrivent à faire vivre le trio et donner de la consistance à chacun leurs personnages respectifs.

Dans la dernière partie de son film, Marion Hänsel filme des paysages d’une beauté à couper le souffle avant de montrer, enfin, la colère sourde et profonde de Moriaty face à l’indicible, l’immoralité des essais nucléaires français dans le Pacifique. La conclusion de Noir Océan laisse alors un goût très particulier : Marion Hänsel a choisi de filmer l’attente, la vie du « Sirocco » plutôt que de faire un film qui condamne la politique française en matière d’essais nucléaires. Mais cette dernière scène, où Moriaty sacrifie des crabes dans un feu de camp pour symboliser à son ami l’immoralité de ce à quoi ils ont participé est gênante de simplicité. Les essais nucléaires français dans le Pacifique n’ont pas tué que des crabes, et ils continuent aujourd’hui encore à faire des victimes, notamment dans les populations locales. Si la première partie du film, sur le mal-être et le malaise de la fin de l’adolescence, est très réussie, Marion Hänsel perd complètement l’objet de son film dans les dernières minutes, tombant finalement dans cette condamnation jusqu’ici esquivée. Dommage.

Titre original : Noir océan

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Durée : 97 mn


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