Ne me libérez pas je m’en charge

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<< Ma plus belle évasion n'est pas de m'être évadé des prisons dans lesquelles j'ai longtemps été enfermé, c'est de m'être échappé de celles dans lesquelles je me suis enfermé tout seul. >> S’échapper de son destin, courir pour échapper à la fatalité.

Les hors la loi engendrent toujours une certaine fascination, par leur désobéissance à un ordre qui parfois nous pèse. Mais derrière le mythe, que sait-on finalement de la vie de ces hommes, finalement ordinaires, qui basculent vers la marge ? Qu’est-ce qui fait qu’un môme s’amusant à faire des bêtises pour contrer l’ennui, comme beaucoup d’autres, devient Michel Vaujour, le roi de la belle ? C’est LA question à laquelle Fabienne Godet, ancienne psycho-sociologue, actuelle documentariste, essaie de répondre à travers un film parcourant l’intime de Michel derrière la vie du bandit Vaujour.

Ancien braqueur fiché au grand banditisme, Michel Vaujour a toujours préféré l’aventure à la soumission. Son leitmotiv ? Surtout ne pas se soumettre. Et ce, du caïd de son village à la justice, en passant par les failles de son propre corps. Mais surtout, ne pas suivre le destin qui lui était imposé, fuir le chemin de soumission de son père, celui d’un ouvrier dans un petit village près de Reims. Courir pour échapper à la fatalité. Adolescent, il « emprunte » des voitures, comme ça, pour se payer une virée à travers champs. Jusqu’au jour où il se fait arrêter pour vol de voiture et conduite sans permis, de là, il se prend le doigt dans un engrenage qui l’amènera à l’ombre de la vie.

Sa vie n’est qu’une longue fuite en avant. D’abord, fuir l’ennui et le milieu populaire dont il est issu. Puis l’ordre établi, les rouages de la justice, les barreaux. « Pour moi la définition de “prison” dans le dico, ce serait : endroit d’où l’on s’évade. »  Finalement, ses évasions spectaculaires ne sont que le côté grandiloquent de son histoire, la partie visible de l’iceberg. Ce que ce film nous offre à voir, ce sont les autres « barrières » du bandit-héros, celles qu’il s’est créées lui même. Car sa vie toute entière a été occupée par cette question de la libération, non pas tant physique que mentale. Pendant ses 27 ans d’emprisonnement, dont 17 en cellule d’isolement, Michel Vaujour a eu le temps de plonger au plus profond de son âme et de ses ressources intérieures, pour tirer ce calme et toute la philosophie qui le caractérisent aujourd’hui. Comment se libérer mentalement pour résister à l’enfermement physique ? Comment résister à la folie, ne pas devenir sauvage, dans des conditions de détentions extrêmes où aucun contact humain n’est autorisé ? Ses méditations vont l’amener à se rendre compte que sa plus inextricable prison, ce sont ses propres choix, ceux qui l’ont conduit à s’enfermer lui même. Alors débutera sa plus difficile évasion, celle du milieu du banditisme. Il devra apprendre à se dé-conditionner pour reprendre « la vie normale d’un être humain », comme il-dit. Et finalement envier ce qu’il a initialement fui. La boucle est bouclée.

     

Loin des clichés et du glamour

Fabienne Godet a commencé à rêvé de ce film pendant le tournage du Sixième homme, un documentaire sur Dominique Loiseau, accusé à tort d’être un policier ripou, qui lui a présenté son ami Michel Vaujour. « Ses phrases m’ont bouleversée. […] Elles m’évoquaient les rêves et les idéaux abandonnés à l’épreuve du réel ; elles me disaient les deuils et le désenchantement dont est tissée la vie. » Le film est construit comme un dialogue philosophique à deux niveaux. Entre le présent de sa libération conditionnelle et le parcours qui l’a amené jusque là. À l’homme d’aujourd’hui, qui doit faire le deuil de sa toute puissance, doit faire face celui qui s’est construit dans le mythe de cette toute puissance. Un mouvement de va-et-vient qui se traduit à l’écran par l’alternance de passages où il se raconte, entouré de ses proches, dans la maison de sa mère et de séquences d’extérieur où il parcourt seul la campagne. Des séquences plus intimistes, où il renoue avec la nature et donc avec lui même. Car il entretient un rapport enchanteur avec la nature ; elle représente chez lui un espoir de vie. Une nature qu’il a plaisir à retrouver après les « villes froides » dont il parle dans l’une de ses lettres de prison… Juste une anecdote : dans la cour des prisons il humectait avec un mouchoir les brins d’herbes surgis d’un coin de béton, brins d’herbe aussitôt arrachés ; c’était le peu d’espoir qu’offrait le béton qui s’arrachait.

Les évasions proprement dites restent anecdotiques. Elles sont prises en charge ici par des extraits de journaux télévisés de l’époque, qui ironiquement soulignent tous le caractère cinématographique de ses évasions. Fabienne Godet a voulu en prendre le contrepoint. Son incroyable évasion par hélicoptère est à peine esquissé par son auteur. Car au delà du spectaculaire, pour Michel Vaujour cette évasion est avant tout synonyme de perte, celle de ses « amis », sur lesquelles il n’a pu compter, mais surtout celle de Gilles, le frère qu’il n’a pas eu, assassiné pendant les préparatifs de l’opération.

Le film commence dans le noir, celui du vide, de l’isolement mais surtout celui de l’écoute. Fabienne Godet convie le spectateur à se mettre en situation d’écoute, nous invitant à nous concentrer sur la voix de Michel qui remplit l’écran. Puis une pause, écouter le silence, esquisser une idée du silence d’une cellule. Enfin, c’est le début du portrait d’un sage à la vie rocambolesque. La réalisatrice nous convie à rencontrer "son" Michel Vaujour, l’objectif de la caméra n’est que le prolongement de son regard. Un regard qui scanne malgré lui les visages, les moindres faits et gestes, les yeux. Le regard de Michel Vaujour qui parfois se voile, passe de la douceur à la froideur, d’un regard d’enfant à celui d’un tueur, puis à la mélancolie. Une mélancolie qui paradoxalement lui donne accès à une certaine légèreté, car quand on est allé au bout de tout et surtout de soi même, on n’a plus peur de rien.

Malgré les nombreuses propositions de documentaires sur son histoire, c’est la première fois que Michel Vaujour accepte de se livrer face à une caméra. Pourquoi avoir dit oui à la proposition de Fabienne Godet ? Parce que les autres propositions télévisuelles voulaient le faire revenir sur la culture du grand banditisme de l’époque, sujet sur lequel il a déjà fait le tour dans son autobiographie Ma plus belle évasion (sortie en 2005.) Il refuse désormais qu’on l’assigne à ce passé dont il s’est libéré.

Finalement son passé, à travers ce portrait, oblige à se poser LA question essentielle de ce film : « qu’ai je fait de ma vie pendant les 27 ans où Michel a été emprisonné ? Ai-je été à la hauteur de la liberté qui m’a été donnée ? ».

Titre original : Ne me libérez pas, je m'en charge

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Durée : 107 mn


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