Millenium, les hommes qui n´aimaient pas les femmes

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Un journaliste économique à la carrière en chute libre et une jeune hackeuse taciturne enquêtent sur une disparition vieille de quarante ans : la version cinéma du premier tome du phénomène mondial Millenium était attendue au tournant par des légions de fans. Bonne nouvelle : le film ne déçoit pas. Mieux : il réjouit.

Avec Millenium, les éditions Actes Sud, qui ont édité la trilogie en France, ont eu le nez creux. Outre les dix millions d’exemplaires vendus dans le monde, Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, premier tome de la saga, s’est hissé en tête des ventes françaises en 2008, tandis que les deux autres volets se sont tous deux qualifiés dans le top 10 français. Et avec Millenium, le thriller se prolonge dans la réalité : son auteur, Stieg Larsson, est mort quelques semaines après la publication du premier volume, et sa compagne, Eva Gabrielson, a été dépouillée de tout par la famille de l’écrivain, appartement et droits d’auteur. Une histoire à rebondissements donc, encore dopée par la rumeur de l’existence d’un quatrième tome (ouï-dire démenti par la maison d’édition). Aujourd’hui, le thriller se poursuit sur grand écran. Et c’est réussi ? Oui.

Pour ceux qui seraient passés, par miracle, entre les rets du phénomène littéraire, le pitch ressemble à ceci : Michael Blomkvist, écrivain et journaliste à Millenium, revue sociale et politique, est appelé par un magnat de l’industrie à relancer une enquête abandonnée par les services de police depuis quarante ans. Sur une petite île suédoise, Harriet Vanger, la nièce de l’industriel, a disparu il y a longtemps, et quelqu’un prend un malin plaisir à le lui rappeler à chaque anniversaire. Alors que sa carrière journalistique est au plus bas suite à une condamnation judiciaire, Blomkvist accepte, et est bientôt rejoint par Lisbeth Valander, jeune hackeuse surdouée mais rebelle, placée sous contrôle social. Ensemble, ils vont tenter d’élucider le mystère.

Rien de bien neuf finalement dans ce scénario de facture classique qui multiplie coups de théâtres, meurtres sanglants et suspense infernal. Qu’est-ce qui fait alors l’excitation qui se produit à la lecture du livre, et maintenant au cinéma ? Peut-être d’abord l’atmosphère poisseuse et crépusculaire, parfois désespérée, qui s’en dégage. Sise dans les paysages désolés d’une petite île suédoise, huis clos désenchanté et lugubre, l’action s’encombre peu d’éléments feel good, au profit d’une ambiance « noir, c’est noir » qui fait plaisir à voir dans un thriller grand public. Que le réalisateur qui s’est emparé de la trilogie pour l’adapter au cinéma soit suédois joue certainement un rôle clé dans cette réussite : situant le film dans les paysages de son pays, il fait de la Suède la première actrice de Millenium. Bas-fonds de Stockholm, nuit d’encre, météo peu clémente (il pleut/neige/vente sans cesse, au choix), le décor est posé : aux héros, il leur faudra composer avec le sordide.

 

Lisbeth Salander était la pierre angulaire de Millenium version papier. Au ciné, Niels Arden Oplev a choisi, pour le meilleur, d’en faire de même. Face à un Michael Blomkvist désabusé, presque neurasthénique, s’oppose cette jeune femme lunaire, forte tête mais solitaire maladive, à la limite du repli sur soi, peu avare de longs discours et sentiments mais efficace en diable. Car Lisbeth est l’un des plus beaux personnages qu’on ait lus depuis longtemps, et le cinéaste a réussi le tour de force de respecter sa psychologie à l’écran, sans chercher à la glamouriser un seul instant. Ongles sales, tenues gothiques, visage criblé d’anneaux de toutes tailles, cheveux rasés d’un côté : elle est exactement, et c’est rare, telle qu’on l’imaginait. Noomi Rapace, actrice à suivre, lui offre son énergie hargneuse et sa fébrilité sauvage, toujours au bord de l’éclatement.

Heureusement, Lisbeth n’est pas la seule chose à laquelle Oplev a été fidèle. S’il sacrifie fatalement quelques personnages secondaires savoureux et l’intrigue journalistique (passionnante) du roman, Millenium le film s’attache plutôt avec succès à son fil scénaristique, trouvant à mi-parcours une juste distance entre respect de l’histoire originale et purge des détails dont ne saurait s’accommoder le cinéma. Ainsi de la relation entre Lisbeth et son tuteur, dont le film ne garde que la séquence de viol (cruelle et violemment réussie) pour illustrer l’aspect cauchemardesque, ou des démêlés de Blomkvist avec la justice pour que le film puisse démarrer d’emblée. Ce qui reste, c’est la juste peinture des sentiments troubles qui existent entre Michael et Lisbeth, d’abord craintifs, ensuite affectueux, mais qui jamais ne peuvent se faire. Le cinéaste a rendu justice aux personnalités contradictoires, jamais tranchées, de ses deux héros, qui restent des énigmes presque complètes.

Le tour de force de Niels Arden Oplev, en fait, est d’avoir fait exister le film par lui-même. Suffisamment proche du livre pour que les fans les plus ardents ne soient pas déroutés, mais qui creuse son propre sillon d’un certain genre de cinéma nordique, quelque part entre Jar City et un film de Susanne Bier. Du premier, il partage la topologie, grandes friches glaciales propices à l’élaboration d’un thriller ; du deuxième, une certaine forme d’auscultation brute de personnalités brisées. Cette dernière caractéristique était la plus belle force du roman ; elle est aussi celle d’un film qui, plus qu’une adaptation de best-seller, est une bonne et belle œuvre de genre. Vivement la suite.

Titre original : Män som hatar kvinnor

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Durée : 140 mn


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