Midnight Traveler

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Film étonnant et important, « Midnight Traveler » montre avec tendresse les difficultés de la vie des réfugiés.

Hassan Fazali est un réalisateur afghan qui ne plait pas à tout le monde. Le café qu’il a ouvert et où il organise des projections de films, entre autres activités culturelles, est d’abord fermé par les Talibans. Son documentaire Peace in Afghanistan, portrait d’un haut gradé du régime qui a déposé les armes, ne leur convient pas d’avantage. Lorsque sa tête est mise à prix, il se réfugie dans un pays voisin avec sa famille proche. Au bout d’un an, les autorités les expulsent. Ils vont devoir tout quitter pour rejoindre l’Europe et demander asile. Accompagné par sa femme et ses deux filles, le voilà devenu un réfugié, propulsé dans l’enfer vécu quotidiennement par des millions d’autres qui cherchent, eux aussi, un refuge sur notre continent. Les frontières traversées au pas de course, les centre d’accueils pleins ou insalubres, les demandes qui se perdent, la violence des population locales… À l’aide de leur seul téléphone, ils vont tout enregistrer afin de raconter ce périple de l’intérieur.

Entre documentaire et fiction

Midnight traveler est un objet filmique surprenant et, au début, assez difficile à appréhender. On s’attendrait à un journal très « brut », un fond footage de cette vie difficile où plus personne ne se montre accueillant ; mais Hassan Fazali est un homme d’image, tout comme sa femme, elle-même actrice et réalisatrice : ils savent, l’un et l’autre, construire un film. Travaillées par ce savoir-faire, certaines images paraissent « mises en scène », elles rappellent la fiction plus que le documentaire. Il faut aussi se rendre compte que ce film n’est aujourd’hui visible que grâce à l’acharnement du réalisateur qui, en dernière instance, a exercé un contrôle artistique sur le montage final. Même si le tournage s’est opéré sur le vif, en pleine vie, on sent le recul du cinéaste qui a voulu donner de la cohérence, de la direction à ses images. Ainsi, quelques passages sont accompagnés d’une voix off qui donne parfois quelques informations sur la suite des évènements, ou bien nous livre des réflexions sur leur vie présente. Ce n’est pas seulement Hassan, mais également ses filles qui se livrent à cet exercice. On trouve aussi des effets de transitions, ainsi que des montages cumulatifs avec de très courts extraits d’images qui n’ont pas déjà été vues, comme si le réalisateur ne s’était pas résolu à faire disparaitre toute son odyssée au montage. Ce sont des instants de respiration, à la fois parce qu’ils nous font sortir du rythme vécu, mais aussi parce qu’on y sent le souffle de cette aventure en quête de l’ouest. De l’hostilité, bien sûr, mais aussi de la beauté, des sourires, une famille qui s’est profondément soudée à travers les épreuves.

Filmer au téléphone

Cet aspect unique découle aussi de l’appareil lui-même. Le téléphone est de plus en plus mis en avant dans les clips, les long métrages ou les publicités comme étant une caméra légitime ; encore faut-il une équipe de techniciens et d’artistes chevronnés capables d’en tirer le meilleur. Hassan Fazili a dû se débrouiller relativement seul et construire toute son œuvre autour de cet outil. Nécessairement, le téléphone a profondément influencé l’aspect et la perception du film. Bien que la qualité d’image soit correcte, la proximité de la voix du réalisateur qui interpelle ses enfants rappelle immédiatement le dispositif. Elle fait penser à ces vidéos ordinaires, diffusées chaque jour sur les réseaux sociaux où quelqu’un filme un évènement insolite et le commente en direct. Cette proximité fait qu’on ne rentre jamais tout à fait dans une distance « documentaire » avec le sujet. Mais nous sommes toujours sensiblement très proches des personnes et de ce qui leur arrive, comme si le réalisateur était assis sur le siège voisin et nous les présentait directement sur son téléphone. Et grâce aux multiples points de vue, nous sommes immergés au sein de toute la famille. Très vite, ils deviennent familiers, on s’attache à eux. Malgré les difficultés, ils gardent toujours un certain humour et une bienveillance. Ils s’accrochent à leur liens, à leur bonheur d’être ensemble.

 

Regard extérieur

À l’avant-première donnée au Reflet Médicis, M. Fazili raconte que faire ce film a été à la fois un soutien et une difficulté supplémentaire. Le téléphone est la première et la dernière richesse d’un migrant ; il en a besoin pour communiquer avec ses proches, regarder leurs photos, trouver son chemin grâce au GPS, traduire les divers langues qu’il va rencontrer, … Les deux filles en bas-âge de Fazili l’empruntaient aussi pour regarder des dessins animés et des vidéos de danse – comme des milliers d’autres enfants, à la recherche d’un peu de cette normalité. Et Hassan ou sa femme pour fabriquer patiemment Midnight Traveler. Il fallait payer pour emprunter un chargeur à quelqu’un pendant quelques heures ; il fallait aussi envoyer les rushs du film à une personne de confiance, étant donné les capacités de stockage des cartes mémoires. Sans doute que filmer au téléphone a apporté une certaine spontanéité, une facilité, un automatisme. Le geste est pour nous tous anodin, et il l’est peut-être resté pour lui. Ce qui l’a beaucoup aidé, c’est d’imaginer le film déjà fini, d’imaginer la sonnette d’alarme qui doit continuer à attirer l’attention sur les réfugiés. Mais le fait de voir les choses à travers un écran permet de prendre de la distance avec elles. Tout photographe ou cadreur l’a probablement déjà senti. Hassan Fazili nous a confié s’être surpris à penser comme un réalisateur plutôt que comme un père. Un drame ébranle un âme mais donne toujours du poids aux images. Et on se trouve parfois nous-même dans cette distance-là à l’égard des personnages.

Pour Hassan Fazili, il était important de faire un film sur le réel, le vécu des migrants. Mais il fallait aussi faire un beau film, pour toucher le spectateur et le sensibiliser à cette condition. Malgré cette distance fluctuante et ce rapport un peu complexe à la fiction, Midnight Traveler constitue un documentaire unique, un témoignage vivant et humain qu’il est important de diffuser et de partager. Les autres films de Hassan Fazili sont malheureusement très difficiles à trouver. On peut le rapprocher d’un film très marquant : Le Vénérable W de Barbet Schroeder, à propos des violences birmanes sur les Rohingyas.

Réalisateur :

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Durée : 87 mn


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