On l’a compris depuis le très luxuriant Azur et Asmar, l’abondance est la muse de Michel Ocelot, qui n’a jamais autant joué des couleurs et des effets plastiques qu’avec Les Contes de la nuit, visuellement très riches. S’il revient au théâtre d’ombres de Princes et princesses, l’exploitation de la 3D lui a clairement permis de se lâcher sur les toiles de fond. Des explosions d’étoiles fêtent Noël avant l’heure, célébrant les voûtes constellées des chapelles gothiques. Mieux encore : depuis qu’un prince antillais a mangé trop de champignons, les parois psychédéliques de l’Enfer ressemblent étrangement à des tableaux de Vasarely… Certains motifs sont évidemment attendus, comme les mandalas exubérants du conte tibétain du Garçon qui ne mentait jamais, le décor « mille fleurs » tapissant les contes médiévaux, ou encore le chef africain criblé de gri-gri tel une effigie vaudou. D’autres trouvailles sont plus déroutantes… On s’étonnera ainsi des coiffes futuristes des Aztèques de L’Elue de la ville d’or, en métal ajouré, à mi chemin entre les géoglyphes de Nazca et les sculptures cybernétiques et spatiodynamiques de Nicolas Schöffer. On saluera le rendu stylisé et éberluant des gesticulations masquées du magicien africain en gros plan dans Le Garçon Tamtam. La danse fait d’ailleurs bon ménage avec les entrelacs graphiques de silhouettes noires, tout comme la saccade du mouvement alliée à l’extrême schématisation de l’art africain sied plutôt bien à la 3D.
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Pour les hommages conscients, il faudra aller chercher plus loin encore, en Allemagne, du côté des années 1920. Les Aventures du Prince Ahmed (1923-26) est considéré comme un des tous premiers long-métrages d’animation. Michel Ocelot est justement un grand fan de sa réalisatrice, Lotte Reiniger, surnommée « la maîtresse des ombres » par Jean Renoir : « Oh oui ! J’ai franchement pris l’idée de Lotte Reiniger, transposer le théâtre d’ombres en cinéma image-image. Cela m’a un peu « sauvé la vie » en me permettant de faire quelques films malgré le manque d’argent. D’ailleurs, en novembre prochain, je reconnaîtrai volontiers ce que je lui dois, invité par un festival qui se trouve à Tübingen, où Lotte Reiniger a un grand musée. » Faute d’argent, Ocelot a en effet posé les bases de son style en travaillant longtemps avec du papier Canson noir découpé aux ciseaux (Maped ou non) : un matériau facile d’accès, les personnages dentelés main étant animés fraction de geste par fraction de geste. « Fiat Lux ! » Et la lumière fût, du fond de la table vitrée, filmée par la caméra… Ne manquait plus que l’illusion de perspective pour donner corps aux fantômes : Lotte en a rêvé, Michel l’a fait. Une bonne raison pour s’infliger les lunettes.
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Mothlight, Stan Brakhage Les Aventures du Prince Ahmed, Lotte Reiniger
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tous les propos cités ont été recueillis par mail, le 21.06.2011.