Ce mardi 29 août, Elephant Films sort trois nouveaux combos Blu-Ray + DVD dans sa collection. Ceux-ci nous invitent à nous languir d’une des plus épatantes reines de l’écran que le cinéma ait connu : Marlene Dietrich était non seulement une star, elle l’était indiscutablement, « empanachée de plumes et de fourrures » (Combat, 1947) et vêtue d’une aura d’évidence qui portait son seul nom. C’est bien simple, il n’y eut pas de vedettes de la trempe de Dietrich avant elle, et il n’y en eut plus par la suite. Pour nombre de cinéastes, mobiliser les talents de l’actrice berlinoise est une tactique pour faire de son film un véritable plaidoyer amoureux d’un glamour complexe. Et pour l’éditeur, faire reprendre l’air à ces œuvres, si longtemps après leurs sorties respectives est une preuve de foi : Foi envers l’intemporalité des prestances multiples et envoutantes de Dietrich. Foi envers la curiosité des jeunes cinéphiles pour celle qui fut mille choses, entre autres, une grande amie d’Orson Welles. Mais si ces films peuvent conserver leur intérêt, et/ou trouver un écho pour les nouvelles générations, il reste difficile de parler mieux d’eux aujourd’hui – de parler mieux d’elle – que les journalistes l’ont fait à l’époque. Donnons-leur un moment la parole.
« Marlene ne vieillit pas, ou presque pas. Elle est toujours la femme fatale n°1, la reine du sex appeal… […] À côté d’elle, Rita Hayworth n’existe pas » (L’Humanité, 1947). « Une histoire, peut-être pas très vraisemblable, mais attachante, avec Ray Milland et Marlène Dietrich : ce n’est pas là de la pellicule gâchée » (L’Aube, 1948). « Indifférente aux contingences de ce bas monde, Marlène sourit, fume, chante et danse » (Cinévie, 1947). Et enfin, au sujet d’un scénario que le critique trouve maladroit : « Quand on ne sait pas très bien comment terminer un film à Hollywood en ce moment, j’imagine qu’un des auteurs doit dire : ‘Pourquoi pas Pearl Harbour ?’ Celui-ci se termine sur Pearl Harbour » (France, 1943).
La Maison des 7 péchés : Vers un cinéma de bastos.
Son titre original fait moins directement référence à la luxure condamnée par la Bible : Seven Sinners. Son réalisateur, un habitué du taylorisme des majors, n’est plus tellement connu : Tay Garnett. Et sa sortie dans son pays de naissance, en octobre 1940, est bien éloignée de sa sortie française : Mars 1947, délai de guerre oblige. Privé trop longtemps de l’ange bleu du cinéma international, le public de l’Hexagone a donc pu redécouvrir Marlene Dietrich ici, dans le premier volet d’une trilogie du retour qui n’existe qu’à ses yeux (La Fièvre de l’or noir : Décembre 1942 aux Etats-Unis, et octobre 1947 en France. Les Anneaux d’or : Août 1947 outre-Atlantique, et septembre 1948 dans le pays du Général De Gaulle).
Ce qui interpelle le plus, dans La Maison des 7 péchés, et ce sur quoi a été basée la promotion du film, c’est une impressionnante scène de bagarre primale et extensive. Il faut croire que Dietrich est à l’aise avec la violence : Elle s’était déjà illustrée dans l’exercice dans Femme ou Démon, ainsi que le fait remarquer la bande-annonce des 7 péchés. Appliquée à faire vivre cette rage bouillante des coups reçus et des coups donnés, celle-là même qui tend à brûler le visage, Dietrich y donne autant de profondeur que n’importe quelle autre émotion. Il y aurait un « art » de la dispute et des beignes : « C’est un art de donner une gifle sans faire mal » (Cinévie, 1947).
Et à la même référence de nous apprendre que, dans une performance mélangeant les pulsions Éros et Thanatos, Dietrich pouvait choquer : « Cette scène a failli être coupée par la censure car, emportée dans son élan, Marlène laisse deviner des jarretelles noires. » Les spécialistes de Dietrich (et c’est aussi à eux que s’adresse cette réédition) pourront faire un rapprochement sans doute un peu sombre sur ce qu’ils savent de l’actrice et de sa romance avec le novice John Wayne, avec qui elle partage ici l’écran… Cela dit, dans les 7 péchés, ce n’est pas lui qui la frappe mais Broderick Crawford. À nouveau, Cinévie : « Avec John Payne (sic), officier, Marlène déploie le charme étudié des regards langoureux et doux, mais avec […] Crawford, le metteur en scène […] lui donne un rôle plus animé. »
La Fièvre de l’or noir et autres triangles amoureux.
Le souffre et la souffrance. Tels sont deux motifs narratifs intenses, qui inspirent des artistes, et suivent – ou hantent – un grand nombre de personnages qui travaillent dans des mines et s’y ruinent peu à peu les mains, les bras, les dos. Des corps, troqués contre des matières premières et des combustibles. Dans cette œuvre de rise and fall sur des volutes de décadence, John Wayne a une fois de plus un rôle principal : Celui de l’ouvrier Markham, dit Pittsburgh (c’est aussi le titre original de l’œuvre). Inspiré par une sorte de muse de capital et de pouvoir jouée par Dietrich, ce mineur va se mettre à redoubler de ruse renarde pour améliorer sa station sociale.
Dans ce film, Dietrich a un rôle parfois ingrat : Duelle, elle est à la fois la transfuge de classe qui va motiver Pittsburgh à abandonner sa simplicité prolétaire, et un noyau moral qui va très vite se montrer amère quant aux compromis de ce dernier. Puis, le film s’intéressera moins à des histoires de triangles d’amour et de mises en garde morales, et plus à trouver des moyens de coder son scénario en réaction aux actualités de la Guerre. C’est la référence à Pearl Harbour mentionnée plus haut. La Fièvre de l’or noir, en effet, fait partie du texte de star de John Wayne au sujet de l’engagement militaire : « Dans [le film], il montre une nouvelle façon pour des civils de se rendre utiles dans une guerre justifiée. Il devient un industriel qui fabrique les bombardiers que Jim Gordon [personnage aussi joué par Wayne] n’avait pas dans Les Tigres volants » (John Wayne par Richard McGhee). Dans ce contexte, Dietrich utilise alors sa propension à l’androgynie pour incarner une nouvelle forme de féminité riveteuse et truculente propre au wartime américain.
Les Anneaux d’or ou les bijoux au cinéma.
Y a-t-il accessoire de films plus cinématographique que le bijou, dans toutes ses formes et dans toutes ses splendeurs ? Et y a-t-il bijou plus probant, plus prégnant, plus intéressant à disséquer que la boucle d’oreille, ou l’anneau ? Une broche à intégrer non pas dans un tissu, mais dans le corps même de qui la possède, une boucle d’oreille est plus qu’une pierre précieuse et la structure qui la soutient : C’est un détail d’apparence qui se mérite en plus de se porter. Une mini-tour de Babel à elle seule, la boucle d’oreille pose le problème des différences sociales entre cultures : Par exemple, quand est-il acceptable de percer les oreilles d’un enfant ? Certains peuples répondent, à partir de trois mois. Et des va-et-vient sur cette problématique, peuvent déboucher les mêmes questions que, mettons, la circoncision, sur les choix qu’un enfant devrait avoir le droit de faire sur son corps, contre la nécessité des perpétuer des traditions et des habitus. Se percer les oreilles n’est pas anodin ! Il s’agit bien d’une modification corporelle, la première que nombre d’individus s’essaient à faire, avant de se diriger, aujourd’hui, vers des piercings et des écarteurs, ou, à d’autres endroits du monde, vers des labrets.
Dans Les Anneaux d’or, le Colonel Ralph Denistoun (Milland) a les oreilles percées. C’est bien cette modification corporelle, en ceci qu’elle n’est pas dissimulable, qui provoque la curiosité de ses congénères Américains. Ces derniers n’ont pas l’habitude de voir cette caractéristique sur un homme. À l’un d’eux, Denistoun raconte son histoire. Aux suites d’une mission périlleuse d’espionnage en Allemagne nazie, Denistoun a du se cacher et se recueillir auprès d’un groupe tzigane, dont fait partie Lydia (Dietrich). Et c’est bien pour s’intégrer à ce groupe, pour franchir une différence sociale entre sa culture et la leur, qu’il a bien voulu porter des anneaux d’or.
La performance d’une Dietrich grimée, filtrée par un accent à couper au canif, ne sera malheureusement pas la plus riche de cette comédienne. C’est dommage. Au final, Les Anneaux d’or a un aspect assez « BD d’aventure franco-belge » dans sa candeur. Cela a son charme, et ses limites. Le long-métrage a une naïveté qu’ont d’ordinaire des œuvres qui n’ont pas besoin d’impressionner des spectateurs qui ont une grande expérience de la vie. Pourquoi, alors, avoir choisi d’invoquer une sorte de vérisme journalistique, faisant jouer au reporter Quentin Reynolds son propre rôle dans le cadre narratif qui entoure le récit ? En tout cas, le simple n’est pas une couleur que Dietrich porte très bien. « Tu es plus intelligent que moi » dit Lydia, au détour d’une comparaison entre une superstition et une prière. Dietrich trahit quelque peu le personnage : Sa voix est si sage, si bonifiée par les voyages, qu’elle ne peut être aussi sotte qu’elle le dit.