Main basse sur la ville (Le Mani sulla citta)

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Un film mémorable et remarquable. Une oeuvre immense.

Le début du film pose les problèmes. Les racines du mal sont profondes : un immeuble dans un quartier très pauvre de Naples s’effondre. Deux morts et un enfant blessé. Perdant partiellement l’usage de ses jambes, il se déplacera avec des béquilles à vie. Le film est construit sur l’idée de symétrie des contraires : la plongée dans le monde politique durant une élection municipale souligne les tiraillements, les jeux d’influences, la quête de pouvoir, d’enrichissement, les basses manœuvres politiques des élus de droite pour tirer profit du malheur des plus démunis.

Le début du film est époustouflant. Tout y est exprimé implicitement et explicitement. La suite du film ne fait que propager les engrenages, les liens, les conséquences, les motifs de ce qui est ici filmé. Un halo de mystère maintient une tension esthétique et psychologique qui s’épuisera de manière sombre et pessimiste à la fin de l’œuvre.

Les premiers plans aériens de Main basse sur la ville sont désincarnés et moribonds. Cette partie de Naples, dans l’ombre et la crasse, offre une vison carcérale et mortuaire de la vie. Aucune lumière. Le quartier est un taudis étouffant de par son architecture géométriquement oppressante. La notion de frontière entre les deux parties de la ville de Naples est dûment exposée grâce aux cartes de la ville. Le noir et blanc, les nuances de gris traduisent une faillite morale et sociale. Peuple et ouvriers sont exposés à de graves dangers. Le minéral grisonnant des bâtiments de béton, la boue sont autant de matières permettant de lier l’homme à sa sous-condition sociale. L’inframonde est filmé de façon ténébreuse, sinueuse et infernale. Le réalisme des plans en hélicoptère participe à porter aux nues la notion de territoire, la défense de celui-ci, et à insuffler une connotation animale dans la jungle urbaine et bureaucratique que dépeint le film. La politisation de l’espace se concrétise dans la verticalité. Du vertige, aucun repère. La désincarnation du lieu se recoupe avec la supercherie politique.

La verticalité du film trouve un allié dans la latéralité comme second ingrédient de la mise en scène. Telles qu’elles apparaissent, latéralité et verticalité modèlent le film avec une violence et un écrasement visuel et sonore étourdissant. Le grouillement et l’effervescence écoeurent et décontenancent. La verticalité et la latéralité se complètent pour créer un chiasme, une croix, authentique symbole de la mort. L’enrichissement du montage par la latéralité exploite une structure duelle pour confronter le film dans une logique de surface et profondeur. L’état de latence du film est un fondement du récit. La quête de pouvoir induit inévitablement des manipulations souterraines. Un réseau invisible qui enrichit le film d’une énergie vibrante et insaisissable. Un flux qui se matérialise lors de la séquence du quorum entre les politiciens, de droite, de gauche et du centre. Le pouvoir sabre en trois branches politiques le conseil municipal de Naples : les partis de droite, de gauche et les centristes.

A échelle humaine, le pouvoir politique apparaît comme tout-puissant. Cependant, le début du film questionne la notion de pouvoir grâce aux plans aériens : le glissement du ciel vers la terre implique l’idée d’une tension entre le macrocosme et le microcosme pour lier en un seul plan, avec le quartier comme ligne d’horizon ou de démarcation, le ciel et la terre. La caméra aérienne suggèrerait l’œil de Dieu, neutre. Faire de la politique reviendrait, par un système d’analogies voulu par Francesco Rosi, à se prendre pour Dieu et faire le monde à son image. La caméra expose des faits politiques et sociaux graves : l’ivresse du pouvoir et l’hubris. Le plan de cinéma est une preuve au plaidoyer réalisé par le réalisateur napolitain. La mort s’enveloppe d’un second oripeau métaphorique lorsque les immeubles filmés en plongée, du ciel, ressemblent à des tombes, le quartier à un cimetière. La musique atonale du début et de la fin du film témoigne de deux mouvements : d’une part le chaos lors de l’effondrement du bâtiment tuant deux personnes, d’autre part la désillusion, l’indignation et la honte.

Les deux dernières phrases du film constituent l’ultime argument de la diatribe : « Les faits et les personnages sont imaginaires. Mais la réalité sociale qui les produit, elle, est authentique. » La charge est lourde, la virulence du propos aussi. La justesse de la mise en scène est une merveille. Le montage aussi. Un grand film.

Titre original : Le Mani sulla città

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Durée : 105 mn


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