Lost dans les pylônes. Prix SACD et présenté à la semaine de la critique à Cannes en 2009, ce premier film prône l’improvisation, là où on ne voit que le cliché.
Au pied des pylônes électriques, on vit. On s’ennuie un peu, on s’aime, parfois violemment, on fait l’école buissonnière, on s’observe silencieusement. Monsieur est chef de chantier, madame cuisine et récupère de vieux vêtements, mademoiselle joue les chamans… La réalisatrice belge Caroline Strubbe travaille dans son premier film sur une dissémination simultanée d’éléments épars. Plus que le récit entrecroisé de quelques personnages, c’est un lieu qui fait (ou ne fait pas) histoire. Le moteur n’est pas le récit ou la structure narrative, mais cette plaine désertique, cette « zone de personnes perdues », un lieu d’attente qui contient et détermine le film. Qu’y attend-on ? Rien. Cette vaste plaine n’offre comme seul agrément que celui de s’y retrouver coincé avec soi ou avec l’autre. Et là, le drame pointe le bout de son nez…
Comme dans bon nombre de films indépendant, Lost Persons Area organise un balancement entre le corps et le paysage, et au sein même de ce paysage, la rencontre entre l’industriel et le naturel. Le film est ainsi affaire d’intrusions : de l’homme dans la plaine et de la mécanique industrielle dans le désert. Dans cette nature quasi vierge, l’homme et le pylône semblent similaires : tous deux hiératiques, immobiles et inexpressifs s’érigent en totems au cœur des plaines flamandes, viennent en déranger l’ordonnancement sans pour autant parvenir à les habiter ou les animer pleinement. Tout (habitation, travail, relation) n’y apparaît que transitoire, obsolète, telle une juxtaposition inappropriée d’objets disparates. Seule l’enfant, nécessairement non encore pervertie et proche du naturel, semble à même de pouvoir – et de vouloir – faire le lien. Tessa, absente et fugueuse, dont la liberté de mouvement est encouragée – sinon souhaitée – par ses parents, parvient encore faiblement à relier l’industriel et l’ancestral, le corps et la nature par des rituels pseudo chamaniques qu’elle invente (ou redécouvre).
Quand t’es dans le désert… No direction home
Caroline Strubbe aligne de bien jolis éléments sans toutefois donner une quelconque direction à son travail. Lost Persons Area s’offre comme le parangon du film indé : refus de la narration, étirement temporel, personnages vidés sans destin, inclusion dans un paysage insolite, jeu des surcadrages, plans à travers des vitres et observation du climat, et bien sûr la sacro-sainte caméra portée. Rien ne manque. La réalisatrice lance régulièrement des pistes pour surtout ne pas les exploiter dans une volonté allusive du type « la vie et son mystère sous-tendu » : une ébauche de relation entre l’épouse et l’ouvrier, un désengagement parental, un sentiment de ratage personnel… A force de suggérer, Strubbe finit par ne rien traiter et parvient ainsi à rater des séquences clés avec une constance impressionnante. Il en va de même de sa volonté affichée de recourir à des acteurs non professionnels, mais danseurs reconnus (Lisbeth Gruweth et Sam Louwyck). Avec fondement peut-être, mais sans utilité.
Comme les personnages qui errent dans la vie, on s’égare dans le film sans avoir spécialement envie ni d’y trouver son chemin ni de poursuivre l’expérience. Si l’ombre des films de Wim Wenders ou de Gus van Sant semble planer sur Lost Persons Area, le film ne possède ni la puissance évocatrice et sensitive du premier, ni les qualités de mise en scène du second. Et d’ailleurs n’y aspire même pas, avouant le volontaire caractère d’improvisation tenant lieu de mise en scène. « Qu’est-ce qui me gêne tant dans la manière habituelle de faire un film ? Tout préparer, faire des story-boards, avoir des comédiens parfaits au moment voulu… Lost Persons Area a été fait à l’inverse absolu de ces contraintes. […] Ce film est fait sans aucune lumière additionnelle, sans découpage, tout se fera en fonction des acteurs et je vais sans doute parfois improviser la mise en scène. », dit ainsi la réalisatrice. Ambition déjà peu louable, laissant la désagréable impression d’avoir pour seul cahier des charges un simple « portons la caméra à l’épaule, ça nous donnera des idées. »
On retrouve des sensations proches de celles éprouvées devant le récent L’Arbre de Julie Bertuccelli : au milieu de nulle part, les pylônes remplaçant le figuier et l’absence de direction une mise en scène plate. Pour enfoncer un peu plus le clou, le film s’achève sur le cliché suprême du film d’auteur : le robinet qui goutte. Finalement, c’est une belle fin… Lost Persons Area aussi fait « plock plock ».
Trois ans après son court-métrage Adami, « L’arche des Canopées », Céline Sallette revient à Cannes et nous confirme qu’elle fait un cinéma de la candeur.