Les aspects narratifs et symboliques ne sont pas ce qu’il y a de plus intéressant dans ce film. De tous les enjeux attachés à la découverte de la petite bête et à ce qu’elle permet au personnage d’Anne, on se désintéresse donc assez rapidement. La valeur de l’oiseau, son pouvoir de symbolisation, la petite fable attachée à sa compagnie : tout cela est très sage, convenu et prévisible. Le côté très soigné de la mise en scène achève de donner le sentiment de voir là un film de bon élève un peu ennuyeux et souvent redondant. Restent deux choses, qui lui permettent malgré tout d’emporter la mise.
La première est la réussite de l’inscription de cette fable dans le cadre d’une ville, Bordeaux, qui constitue un arrière-plan vivant, lumineux et longtemps inaccessible à son héroïne. Les contrastes rendus entre cet univers et les seuls tristes espaces qu’Anne parvient à occuper – son appartement, son lieu de travail – sont fondus dans un travail plus global sur la fluidité qui achève de détacher le personnage de son monde. Il fait plonger dans un univers de sensations – pour beaucoup lié au contact avec les liquides (en somme, de la douche à la Garonne) – qui tient de la rêverie quasi-permanente.
La seconde découle logiquement de ce premier aspect. Elle tient à la manière adoptée d’approcher les comédiens comme des bêtes curieuses, comme si le regard d’Anne était parvenu à contaminer la caméra. Autour de Sandrine Kiberlain on trouve Clément Sibony, Bruno Todeschini et Serge Riaboukine venant constituer une sorte de bestiaire aux figures graves, parfois déjà à moitié absentes, en prise avec la déprime ambiante. Les personnages – parfaitement incarnés – apparaissent dans des univers presque totalement déconnectés les uns des autres. Chacun semble survivre dans sa cage. Chacun peine dans sa lutte pour tenter de s’en extraire. Cet aspect ouvre sur la meilleure part du film : l’inscription dans ces corps d’une douleur désespérément muette.