Livre « Sympathy for the devil » d’Emmanuel Burdeau

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Premier livre – multilingue – consacré en France à un cinéaste mythique au parcours singulièrement instable.

Sympathy for the devil pourrait n’être évalué que pour ce qu’il est : le premier livre consacré en France à Monte Hellman, cinéaste culte à la carrière néanmoins boiteuse, signataire, y compris pour les cinéphiles les plus implacables, d’essentiellement un film, Macadam à deux voies (Two-Lane Blacktop, 1971), cette sublime œuvre de vacance. A ce niveau, rien à dire : l’ouvrage est largement à la hauteur des attentes, le cinéaste s’avérant aussi précis et loquace dans l’évocation des raisons techniques et économiques de l’abandon de moult projets (abandons expliquant partiellement son absence des écrans depuis vingt ans) que la place qui fut réellement la sienne dans la réalisation ou la production de films signés par d’autres (Réservoir dogs, Robocop, quelques séries B de Roger Corman…). Ce livre est donc bien un événement, à deux semaines de la sortie de Road to nowhere, dernier et beau film du cinéaste, pour quiconque préfère les preuves à la mythologie, s’attache à mesurer la cohérence d’une oeuvre avant tout à la lumière des mots de son auteur, sa seule parole (Hitchcock/Truffaut demeurant à cette aune le livre de référence).

Ceci étant dit, interpelle autre chose, à la lecture de Sympathy for the devil : l’ambition désormais évidente de son signataire, Emmanuel Burdeau, en droite ligne de son précédent Comédie, mode d’emploi, mais de manière peut-être plus assumée, de faire de la retranscription des propos d’un cinéaste étranger le défi d’une traduction « en direct ». Ainsi, en de nombreux endroits, VO et VF se chevauchent, voisinent, s’entrecroisent, le procédé s’exposant au risque d’éventuelles objections quant à quelques choix de traduction, mais enrichissant surtout l’écrit d’une double dimension. Se dévoile dans cette entreprise l’une des principales problématiques de l’entretien retranscrit : l’impossibilité d’un passage 100% fidèle de l’oral à l’écrit, la crainte de déformer les propos de l’interviewé dans la recherche d’une ponctuation, l’élagage instinctif de répétitions peut-être involontaires. Le souci, tout simplement, de rendre presque palpable la « réalité » de l’entretien, le débit de l’interlocuteur, l’atmosphère unique de chaque rencontre. Ainsi, même si forcément discutable, sinon tout à fait dispensable aux yeux de certains lecteurs n’en demandant pas tant, la tentative de Burdeau a-t-elle le mérite de rendre à l’interview quelque chose comme la « température » de son moment.

Un dernier mot sur le titre du livre. Outre l’évidente référence au hit des Rolling Stones, « Sympathy for the Devil » pourrait s’entendre ici comme la définition par le cinéaste de son métier comme un pacte faustien, quelque chose qui ne peut se résumer au seul cumul des succès et des échecs, à la mise en pratique mécanique d’un savoir. Enseignant à CalArts, école d’art fondée par Walt Disney, Monte Hellman insiste bien, tout au long de cette conversation – ainsi que dans le cadre d’une présentation de son dernier film à ses étudiants, en compagnie de son co-scénariste Steven Gaydos – sur le degré d’envoûtement nécessaire à la réalisation comme à la réception d’un film. Pour lui, un projet ne termine jamais de travailler son homme, y compris, surtout lorsqu’il semble acquis qu’il ne se réalisera jamais (cf la longue référence à In a dream of passion, adaptation du roman de Robbe-Grillet La Maison de rendez-vous, dont sont offerts à lire les premiers fragments du scénario). De même que nombre de films ne valent que dans la corrélation entre ce qu’ils montrent et la réappropriation propre de leur spectateur ; que selon lui, enseigner le cinéma équivaut avant tout à s’imprégner de ce que lui apportent ses élèves. En version française ou multilingue, ces confessions ne manquent en effet pas de hanter bien après la lecture d’un livre qui, assurément, se devait d’exister.

Sympathy for the devil d’Emmanuel Burdeau, Editions Capricci



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