L’Homme qui rit

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Quand Edward aux mains d’argent tailladait le manuscrit du film de sa vie.

Après Paul Leni en 1928, Sergio Corbucci en 1966 puis Jean Kerchbron en 1971, à Jean-Paul Améris de poursuivre la vaste entreprise de profanation de l’œuvre hugolienne en adaptant à son tour L’Homme qui rit (1866-1869). « Un jour, j’en ferai un film » qu’il dit, alors gagné de cette émotion juvénile et tenace que procure la révélation des premiers grands spectacles dignes d’intérêt. L’histoire de ces deux orphelins, de Gwynplaine, au minois à jamais prolongé d’un sourire allant jusqu’aux oreilles, et de Déa, qu’il recueillit aveugle avant d’échouer dans les bras d’Ursus, forain au grand cœur en même temps que promoteur avisé, était évidemment, fatalement, de facture cinématographique.

Toutefois, l’ouvrage était aussi et surtout imbibé de l’encre de colère noire déversée par l’écrivain, désespéré de la tenue d’un monde qu’il ne pouvait en aucun autre moyen sinon celui-là entacher. Foisonnant mais édifiant sur ses personnages une chape de philosophie politique parfois trop écrasante, en cela justifiée dès la note d’intention, le patronage puissant de Victor Hugo lui ôtait presque tout de go toute ambition univoquement romanesque. Centralisant lui son récit sur Gwynplaine, de l’animal de foire qui accédera à la notoriété publique grâce à l’exhibition tragique de son existence sur scène puis de par son sang bleu à la vie de château, Jean-Pierre Améris achèvera bien vite, en trois actes, de tuer le père, notamment en refusant à son traitement toute assise historique – précisément l’Angleterre entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle.

    

Si l’itinéraire du camp des forains au château dont Gwynplaine recouvrera la possession est certes l’occasion d’un virage chromatique assuré, d’une baroque transition de textures bleu violacées à une gamme de noirs métalliques, celui-ci relèvera néanmoins de l’acte de forfaiture tant l’avance sur recettes octroyée au film aura été dilapidée dans la construction numérique de ses décors. Par trop emprunts des univers fantastiques de Tod Browning et de Tim Burton, ceux-ci ôtent finalement toute responsabilité à ses acteurs, aspirés par la vacuité d’un cadre que les grands renforts de mouvements d’appareils et de musiques symphoniques désincarnent, dépassionnent, à l’instar du champ/contrechamp entre Gwynplaine et la tribune des Lords, tirade conservée presque mot pour mot et qui eût pu être la dernière chance de témoigner de la souffrance sincère du matériau originel.

D’un onirisme désuet, l’adaptation de Jean-Pierre Améris semble tout droit dévolue aux projections scolaires, niches réconfortantes où la candeur de la critique ne le fera souffrir d’aucune contestation. Car dans le monde cruel des adultes, profiter d’une œuvre libre de droit est une chose, mais trahir le droit moral d’un auteur en est une autre, qui certes difficilement condamnable, n’en reste pas moins vécue comme impardonnable.

Titre original : L'Homme qui rit

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Durée : 93 mn


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