Lettres de la guerre

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De très belle facture formelle, ces « Lettres de la guerre » sont un vibrant hommage du cinéma à la littérature.

La guerre est une abjection dont il peut parfois advenir des merveilles. De cette formule pour le moins paradoxale on pourrait tirer la morale de ce très beau Lettres de la guerre du jeune réalisateur portugais Ivo M. Ferreira. En effet avec ce troisième film de fiction d’une carrière essentiellement consacrée jusqu’à maintenant au documentaire, Ferreira nous raconte d’une certaine manière l’éclosion d’un grand écrivain au cœur même de la guerre et de ses horreurs. L’action se déroule entre 1971 et 1973, en Angola. Le Portugal y livre sa guerre coloniale depuis le début des années 60. Cette sale guerre, c’est la même que celle que les Américains sont en train de perdre alors au Vietnam, c’est aussi la même que les Français ont déjà perdue en Algérie à l’époque où se situe l’action du film. Ces guerres dites coloniales envoyaient se battre loin de leurs terres natales de jeunes conscrits qui se trouvaient du jour au lendemain plongés dans un véritable enfer. Les GI’s comme les soldats portugais se trouvaient très vite démoralisés, sommés qu’ils étaient de se battre pour une cause injuste…

La guerre comme toile de fond

Nous sommes en 1971. Le jeune António Lobo Antunes, incarné par un Miguel Nunes très convaincant, est un de ces soldats. Il sert comme médecin dans une garnison de brousse en Angola. Tout le film de Ferreira consiste en une forme de dédoublement synchrone. En sorte que l’image relate la vie de cette garnison, les combats sporadiques, les expéditions punitives, la chaleur qui accable les hommes, la mort, et l’ennui aussi. Ce théâtre des opérations sert de contexte au film ; mais la bande-son, elle, est tout entière consacrée à la déclamation en voix off des lettres d’amour envoyées par le jeune médecin à sa femme restée au Portugal. De telle manière que nous assistons de bout en bout du métrage à la fusion parfaite de dispositifs qui en théorie devraient s’exclure – dans un même mouvement au cinéma, s’entend. Ces deux réalités à première vue opposées, ce sont la guerre, l’action, l’objectivité extérieure, d’une part, et l’expression de la vie intérieure du jeune médecin amoureux et désespéré d’être séparé de sa femme, d’autre part.

 

"Ma maitresse, ma Voie lactée…"

Ces lettres, transcriptions intégrales des originaux, sont de toute beauté. Elles sont, en vrai, les premiers pas en tant qu’écrivain d’António Lobo Antunes, aujourd’hui l’une des grandes figures de la littérature contemporaine. Parfois exaltées, tristes ou désespérées, elles peuvent être aussi enthousiastes aussi à certains moments à propos de la beauté de l’Afrique ou d’amitiés nouées avec des Angolais…Mais elles sont par dessus tout d’éblouissantes lettres d’amour – quelquefois nimbées d’un érotisme sublime -, dont l’apogée se trouve dans cette longue et envoutante énumération (non exhaustive) : « Ma maitresse, ma Voie lactée, mon conte de fées, ma mélancolie, mon diamant, ma Pénélope, ma morphine, mon opium, ma cocaïne, ma femme… »
La beauté de Lettres de la guerre est renforcée par l’utilisation d’un noir et blanc magnifique, procédé qui au delà de son esthétique permet de marquer la distance entre la vision intime et personnelle d’Antunes et la guerre. C’est une distance qui définit en quelque sorte l’intériorité du protagoniste.

Mais ce qui fait la puissance de ce film ce ne sont pas les images – aussi belles soient-elles. Elles jouent incontestablement le rôle de toile de fond, de réceptacle formel à une chose bien plus grande et bien plus fondamentale qu’elles et que le récit qu’elles soutiennent. Cette vérité invisible, celle qui nous est révélée par le truchement des accents de cette langue lusitanienne magnifique, c’est la naissance d’un écrivain. La naissance d’un écrivain et un admirable hommage du septième art à la littérature.

Titre original : Cartas da guerra

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Durée : 105 mn


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