Les Opportunistes

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Les mots pour le dire, mais pas les images pour le montrer.

Le cinéma peut dire merci à l’interminable crise que nous traversons qui lui offre une matière de premier choix pour examiner les dysfonctionnements de nos sociétés. Quant à savoir si ces films très ancrés dans leur époque intéresseront au-delà de leurs seuls contemporains concernés directement par le sujet, l’avenir nous le dira. Les Opportunistes en tous les cas est tout à fait contemporain. Il a même tous les tics de son époque. On avait déjà des doutes devant La Prima Cosa Bella (2011), là Paolo Virzì se charge d’entériner nos certitudes. Le réalisateur adapte Capital humain (2004) de l’écrivain américain Stephen Amidon. Exit le Connecticut, bonjour la Lombardie. Le changement importe peu, les préoccupations des puissants sont partout les mêmes.

Une nuit d’hiver, une voiture renverse un vélo. Qui a malencontreusement tué le cycliste chevronné sans se retourner ? L’agent immobilier plouc qui veut jouer dans la cour des grands ? La grande épouse bourgeoise qui s’intéresse aux arts pour tromper son ennui ? La fille de l’un ou le fils de l’autre ? Au film de résoudre, très laborieusement, ce Cluedo transalpin.

L’écueil principal du film, c’est sa structure. Paralysé par la forme tentaculaire du roman (un chapitre/un point de vue), il tente d’en conserver la dynamique tout en la rendant digeste au format filmique. Trois chapitres et trois points de vue se succèdent donc. Les mêmes scènes se rejouent en passant d’un personnage à l’autre, manière à chaque itération d’en apprendre un peu plus. C’est plaisant, c’est chic et surtout c’est très à la mode et ça donne l’air intelligent. Sauf que quand on choisit mal ses personnages, ça se casse la figure. Alors les fils se rejoignent, mais on a vraiment l’impression d’avoir un pull à trois manches. La faute à la troisième partie qui délaisse la question sociale (soit la lutte des classes) pour ne jouer que sur le registre du drame intime. Paradoxalement, c’est le chapitre le plus intéressant, mais il n’a que peu à voir avec les deux autres et rend l’écart difficile à combler. Le seul moyen de s’en sortir pour Virzì est alors de trahir sa structure, d’évacuer le point de vue de Serena sur lequel se focalise le troisième chapitre. Quelque part, il n’attendait que ça : sa structure lui pesait comme un boulet et le film finissait par expédier les scènes communes aux trois chapitres en quatrième vitesse.

 

Bancal car n’arrivant pas à relier le contenu à la forme, Les Opportunistes a donc le plus grand mal à faire saisir ses enjeux. Oh, on comprend bien qu’il s’agit de gros sous et d’investissements frauduleux et que le benêt égocentrique d’agent immobilier va y laisser des plumes. Mais il faut l’intervention finale de Valeria Bruni Tedeschi en bourgeoise au foyer désespérée pour en comprendre enfin la portée (1) : « Vous avez misé sur la faillite du pays et vous avez gagné. » La fin du film est donc là pour verbaliser tout ce que le réalisateur n’a pas été capable de montrer, y compris via un long carton explicatif final pour dévoiler le sens du titre : Il Capitale humano (malheureusement changé en Les Opportunistes pour la sortie française). C’est dire la confiance que Virzì porte dans le cinéma et l’image comme vecteurs de sens.

Dommage. Dommage car le film a de l’or entre les doigts (merci le roman !) et réussit quelques scènes : la relation entre Serena et Luca notamment, ou surtout cette incroyable séquence d’explication où Valeria Bruni Tedeschi et son mari évoquent le sort catastrophique de l’Italie au sein de leur sublime demeure devant une luxueuse garden party. La bourgeoisie festoie tandis que la plèbe crève. Paolo Virzì est capable de le dire, mais que trop rarement de le montrer.

(1) Au passage, l’actrice a remporté grâce au film son troisième Davide di Donatello de la meilleure actrice en Italie.
 

Titre original : Il Capitale Umano

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Durée : 109 mn


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