Les Misérables

Article écrit par

Un auteur est né, et il continuera à nous surprendre.

Après La Haine qui est, selon le réalisateur, « le film référence de la banlieue », Les misérables de Ladj Ly nous donne un violent uppercut au cœur et aux yeux, et impose un nouveau talent français avec ce premier long métrage, après des courts métrages, des documentaires et des rôles au cinéma et à la télévision. Le talent du jeune réalisateur n’est plus à prouver, son film bien écrit, sublimement mis en scène et interprété ne passera sans doute pas inaperçu. Il ne serait pas étonnant qu’il obtienne une Palme inattendue comme Entre les murs de Laurent Cantet en 2008, lorsque Sean Penn était président du jury, parce que les jurys aiment beaucoup le social et les films de fiction qui louchent vers le documentaire du réel. Finalement le film obtiendra le Prix du jury et sera le représentant de la France aux prochains Oscars. Belles récompenses pour ce premier long métrage prometteur. En effet, avec Les Misérables, vibrant hommage à Victor Hugo, et quelque peu aux Gilets jaunes (on verra pourquoi à cause du flash-ball tiré à tout portant dans un œil d’enfant), le jury a été largement servi.

Mais ce film ne se donne pas seulement comme le portrait de la révolte des jeunes délaissés, sorte de double hommage à Zéro de conduite de Jean Vigo (1933) et à Los Olvidados de Luis Buñuel (1950) qui est d’ailleurs présenté cette année à Cannes Classics en version restaurée en 4K. Ladj Ly, né à Montfermeil, connaît parfaitement la banlieue et ses cités comme on le dit en boucle, et ses pittoresques jeunes. Il s’emploie surtout à nous offrir une Comédie humaine à travers le portrait de trois personnages, des flics de la BAC, avec leurs problèmes, leurs soucis et leurs personnalités. Et c’est une réussite complète car on a l’impression de vivre avec eux, de les suivre dans leurs traques parfois chaplinesques, parfois ridicules, souvent inutiles. On finit même par s’attacher à eux, plus encore qu’aux enfants qui sont quand même traités parfois d’une manière assez conventionnelle malgré des éclairs de génie et une excellente direction d’acteurs non professionnels.

De plus, le film ne propose absolument pas une image édulcorée ou admirative de la banlieue et de ses révoltes. Ladj Ly reste au contraire très distancié par rapport aux événements, à la manière d’un écrivain des Lumières qui s’emploierait à montrer le monde comme il va, comme Montesquieu dans ses Lettres persanes. En outre, en plus de son objectivité, le film ne manque ni d’ambition, ni d’humour souvent, ni même bien sûr de poésie proposant finalement un portrait de Montfermeil loin des clichés des JT lorsque ma 6T va craquer… Bien sûr le jeune réalisateur, qui a par ailleurs créé une école de cinéma justement pour ces jeunes des cités, se tourne parfois vers l’esthétique télévisuelle, mais son film dépasse, et de loin, les téléfilms. Il se présente en fait comme un œuvre hybride entre La Haine de Mathieu Kassovitz (1995), sa référence, et De bruit et de fureur (1988) du regretté Jean-Claude Brisseau. On le sait maintenant, la cuvée 2019 du festival de Cannes aura dévoilé un grand talent, et il serait assez décevant qu’il ne soit pas récompensé pour ce très beau film qui nous demande : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ».

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 92 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.