L’Enchanté, surtout, s’inscrit davantage dans la durée, oubliant la seule notion d’immédiateté. Il vient rappeler que le destin d’un peuple, bien que fortement soumis à l’actualité, est aussi ce qu’il y a de plus intemporel. Ainsi de l’organisation d’un concours de chant de pinsons dans les faubourgs de Lisbonne, tradition importée de Flandres après la fin de la première guerre mondiale et qui devrait se perpétuer encore bien des années. Elle est ici filmée pendant plus d’une heure, vient scruter la part intime de Portugais qui, pour s’affronter, opposent leurs oiseaux et espèrent qu’ils chanteront le plus longuement possible. Aucune tentation d’exotisme social de la part de Gomes, tous les participants sont observés comme des artisans, jamais comme héritiers d’un hobby qu’on pourrait trouver plouc. Le sérieux prédomine, et c’est de l’acharnement et du cœur qu’ils mettent à l’ouvrage que naît l’émotion qui, comme tout au long de ces Mille et une nuits, surgit de l’anodin quand on s’y attend le moins.
Avant cela, la première moitié du volume se consacre à la fiction la plus flamboyante qui soit : Shéhérazade chez elle à Bagdad, ici représentée par Marseille et ses calanques. Elle y croise des brigands (des jeunes mecs des cités), son père pour un tour de grande roue, ou un étalon aux deux cents enfants dont elle repousse les avances. C’est la partie la plus solaire du film dans sa totalité, celle où le mythologique vient embraser la moindre séquence, où le réel est relégué loin, “de l’autre côté du monde – pour voir comment c’est, il faudra de la patience”. C’est cette même patience que demande Gomes depuis le début de son feuilleton estival, sans qu’elle ne soit jamais douloureuse : à celui qui l’aura sont offertes mille récompenses et tout autant d’émerveillements. L’expérience est intense et unique, c’est une vision du monde mais surtout une vision du cinéma, parmi celles qui brillent fort et durablement.