Cette ouverture, où les rapports entre enfants et entre générations sont dépeints avec gaieté, annonce d’emblée deux traits marquants du film : une forme de refus de la modernité, et la volonté de présenter un discours original sur l’histoire pour apporter une réponse à ce refus ou, à défaut, le justifier. Que l’on adhère ou pas à cette vision, celle-ci se distingue par son élégance et son humour, et flatte aussi bien l’imaginaire que l’intelligence du spectateur.
Sous ces atours de film léger et bonhomme, comme ce grand-père pataud, Les Filles au Moyen Âge s’avère en effet d’une rare finesse. Hubert Viel parvient à traiter des enjeux historiques complexes et variés – l’influence du christianisme dans les relations sociales, l’accès à l’éducation, la guerre de cent ans, la formation de l’Etat moderne – sans jamais être ennuyeux ou professoral. Cette réussite tient notamment au casting d’enfants dans les premiers rôles, dont le « jeu » est plus ludique que théâtral, intégrant maladresses, expressions anachroniques (« Nicolos, on a complètement déconné »), et gestuelle des plus expressives.
Hubert Viel écarte le trop sérieux, mais aussi le trop réaliste : son récit se fait souvent onirique, laissant une large part à la nature et aux symboles, puisqu’une majorité des scènes sont tournées dans des paysages de campagne, que la caméra explore avec ses personnages. Le film surprend sans cesse par sa liberté, en présentant des figures bien connues selon un point de vue original, comme celui de la femme de Clovis, ou du dauphin Charles VII pour l’histoire de Jeanne d’Arc. Pour représenter le Concile d’Ephèse, où l’Eglise fait de Marie la mère de Dieu, Hubert Viel se permet même d’inventer une fable dans laquelle une servante, Euphrosine est confrontée à Cyrille d’Alexandrie, pour illustrer les conséquences de ce tournant théologique. Toutes ces vignettes sont filmées en 1:33, un format mieux adapté aux proportions des jeunes acteurs. Ceux-ci sont alternativement filmés dans des scènes très travaillées et composées, assez figées et symboliques, puis dans des scènes plus libres en extérieur, où des plans plus larges mettent l’accent sur les rencontres, les explorations et le rapport à la nature.
Film léger et onirique, Les Filles au Moyen Âge n’en est pas moins un long métrage engagé, au discours très affirmé sur notre époque. Hubert Viel y défend un versant moins exploré du Moyen Âge, en particulier entre le Ve et le XVe siècle, où les femmes étaient à la fois éduquées, libres et influentes. Son récit s’achève sur un ton plus politique, où la course d’une enfant fuyant les violences étatiques fait le lien entre passé et présent. Cette fuite commencée dans un verger se termine sur le parking d’un supermarché, permettant au réalisateur et scénariste de clore son film sur une dénonciation du matérialisme et du capitalisme contemporains. Se révèle alors un propos plus large, qui ne se limite pas aux cycles d’émancipation et de soumission des femmes : c’est davantage une lutte entre le spirituel et le matériel qui se joue dans sa vision de l’histoire, et dont il regrette qu’elle s’achève par l’anéantissement du rêve au nom d’une vision utilitaire imposée par l’Etat.