L’eau, qu’elle stagne, pleuve à torrents ou ne s’accumule dans le bayou, est omniprésente, encerclant les personnages, les nourrissant ou leur promettant une mort certaine. Très logiquement, on songe à une arche de Noé organisée par Benh Zeitlin, qui garde la meilleure place à son petit personnage féminin, Hushpuppy. Petite fille que son père voudrait garçon, ils vivotent tous deux de pêche et d’eau de vie, exclus volontaires de la ville. Quand l’ordinaire est violemment mis à mal par l’arrivée d’une tempête, Hushpuppy et son pêre, soumis aux forces de la nature, luttent.
Intéressant lorsqu’il crée une Louisiane imaginaire constituée d’un îlot de marginaux, le cinéaste l’est moins dans l’insistance qu’il met à poétiser une sorte d’acte de résistance à une forme de civilisation qui serait, en substance, d’accepter de se rendre dans un centre d’accueil médical pour le père, malade, et de refuser « leur » vie, « qu’ils » ne nous changent. Assénée par la parole en off de la petite, le cinéaste glorifie le mode de vie de ses personnages, autarcie et seul récit valable. Sans enjeu, la balade dans l’univers de l’enfant est réduite à une visite très clippée qui nous voudrait ébahis.
L’autre obstacle du film est sa démonstrative sauvagerie, c’est la répétition un peu vaine de ses effets. Des plans solaires, louvoyant dans la course des personnages, soudain se focalisent sur le monde naturel (bestiaire et végétation), le film catalogue les ruptures d’échelle pour constituer une rhétorique visuelle pas bien puissante.
Les animaux mythologiques, motif visuel au demeurant très beau, renforcent l’impression que le film d’apprentissage n’est qu’un prétexte, malgré la voix off enfantine, et les plans à hauteur d’enfant. La petite fille soumet les bêtes, confirme sa supériorité sur le monde vivant du film. Il n’y aura pas de terreur ou de fascination pour la sauvagerie du monde enfantin, chaque scène conflictuelle (révolte contre le père, retrouvaille de la mère) laissant peu de doutes possibles sur le triomphe de l’enfant roi. Spike Jonze montrait dans Where The Wild Things Are (2009) combien l’état de perdition qu’est l’enfance est difficilement apprivoisable.