Après « La Fiancée syrienne » (2004) et « Les Citronniers » (2008), le réalisateur israélien livre un beau film porté par des personnages aussi décalés qu´attachants. Un road movie à travers la Roumanie drôle et touchant.
Le Voyage du directeur des ressources humaines… Avec un tel titre, la nouvelle création d’Eran Riklis aurait de quoi en rebuter plus d’un. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas du film de vacances d’un DRH qui nous exposerait les mille et une techniques de recrutement (ou de licenciement, c’est selon…). Mais plutôt de la quête de sens du personnage principal, un DRH donc (brillamment interprété par Mark Ivanir, notamment remarqué dans La Liste de Schindler et Le Terminal de Spielberg, puis dans Raisons d’état de Robert de Niro), qui n’assume pas ses responsabilités, ni dans sa famille, ni dans son travail. Au cours d’un périple inattendu et surprenant, il va devoir se confronter à lui-même pour peu à peu redécouvrir non seulement l’importance des relations humaines, mais aussi sa propre humanité. Le film est un croisement improbable entre l’énergie, la folie douce d’Emir Kusturica, l’absurde qui habite souvent le cinéma roumain, et la veine sociale et réaliste d’un Laurent Cantet. Un road movie déjanté à la manière de Little Miss Sunshine, plus sombre et surtout bien moins anecdotique, doublé d’une réflexion sur l’identité et les racines. Soutenue par une musique aux accents tziganes (composée par Cyril Morin, déjà présent sur La Fiancée syrienne), la mise en scène joue une partition à la fois ample et dépouillée, qui choisit l’épure plutôt que l’esbroufe pour parvenir à ses fins, mettre en valeur les personnages et l’émotion, toujours de manière contenue.
Multi-récompensé dans les festivals internationaux (notamment par les prix du meilleur film, réalisateur et scénario aux Israeli Academy Awards, l’équivalent des Oscars), Le Voyage du directeur des ressources humaines est une tragicomédie qui met en scène le DRH de la plus grande boulangerie de Jérusalem. Il se voit chargé de rapatrier dans sa famille en Roumanie le cercueil d’une employée, décédée lors d’un attentat-suicide un mois auparavant. Conséquence d’une situation très embarrassante : personne dans la boulangerie ne s’était aperçu de son absence ! La presse s’empare de l’affaire, accusant l’entreprise d’indifférence et même d’inhumanité. Une opération rachat donc, visant à redorer cette image écornée.
Alors qu’il aurait pu se focaliser sur le cynisme du monde de l’entreprise, l’intelligence du cinéaste réside dans le fait qu’il choisit plutôt de se concentrer sur l’indifférence présupposée de son personnage, et à travers lui, peut-être celle qui nous caractérise tous autant que nous sommes, en évitant cependant d’imposer un parti-pris moralisateur. Désigné contre son gré pour « cette mission », le DRH y voit au début un moyen de fuir son quotidien. Bizarrement, alors qu’il accompagne le cercueil d’une femme dont il ignore tout (mis à part son nom, Yulia Pétraché, et son visage sur une photo), il est rattrapé par la réalité de la vie, et va réapprendre inconsciemment le sens de la sienne. Il se trouve directement aux prises avec des rapports humains complexes et déroutants, que ce soit avec le journaliste sarcastique qui le suit dans son voyage, le jeune fils de Yulia, un adolescent sauvage et livré à lui-même, l’ex-mari quelque peu immature, ou une consule haute en couleur. Des personnages décalés au point que le réalisateur ne leur a pas donné de noms (excepté la morte paradoxalement), comme s’ils étaient aussi gelés que le paysage roumain. Et pourtant, un lien humain ténu mais très précieux, se tisse entre ces individus disparates qui vont progressivement apprendre à s’apprivoiser. Pas de sentimentalisme excessif ni de débordement lacrymal, le film reste tendu jusqu’à son terme. Rien d’angélique ici, juste une vraie belle histoire…
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Titre original : Le Voyage du directeur des ressources humaines
Par la satire sociale, cette comédie de moeurs tourne en dérision les travers de l’institution maritale. Entre Cendrillon et Le Roi Lear, la pochade étrille la misogynie patriarcale à travers la figure tutélaire de butor histrionique joué avec force cabotinage par Charles Laughton. Falstaffien en coffret dvd blue-ray.